Ainsi fut une clairière  par Hélène Canaud

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0
Au départ

1
Reprendre la route
Yaoundé, Station Tradex Ahala
21.04.2016 - Voir la carte
2
Jour ferié au village
Bipindi, Bar de Madagascar
01.05.2016 - Voir la carte
3
La chasse au rat
Bipindi
30.04.2016 - Voir la carte
4
Le chantier
Nlongkeng
08.05.2016 - Voir la carte
5
Le Chinois
Memele II
26.04.2016 - Voir la carte
6
Kribi
Kribi
10.05.2016 - Voir la carte
7
Discussions de comptoir
Bipindi, Bar de Madagascar
02.05.2016 - Voir la carte
8
Epilogue
Machuer Machuer
07.05.2016 - Voir la carte

Hélène Canaud

« Il y a la forêt du chercheur de champignons, du flâneur, du fugitif, celle de l’Indien, la forêt du chasseur, du garde-chasse ou du braconnier, celle des amoureux, des égarés, des ornithologues, la forêt aussi des animaux ou de l’arbre, celle du jour et de la nuit. Mille forêts dans la même, mille vérités d’un mystère qui se dérobe et ne se donne jamais qu’en fragments.»

 

David Le Breton, La saveur du monde, 2006.

 

 

 

 

 

 

 

 

Enfin aujourd’hui le départ pour la brousse. Me voici perdant le temps, station TRADEX Ahala, le dernier point carburant à Yaoundé avant l’axe «lourd». Nous ferons le trajet via Eséka et Lolodorf. Il fallait bien qu’il vienne, ce moment où je me retrouverais seule sur le sol camerounais, sur cette terre rouge qui m’a habitée pendant tant de nuits encore après mon retour, et que je ne parviens à retrouver depuis mon arrivée. Yaoundé est chaude, bruyante, polluée, comme toujours et comme tant de villes africaines. La beauté du monde… Si une seule chose doit être mon moteur, c’est la perspective de m’émerveiller encore, de ressentir ce sentiment d’allégresse presque amoureuse face aux éléments, aux Hommes, à la vie. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Trois écolières en uniforme bleu ciel. L’une d’entre elles a un mouchoir blanc sur la tête. Il doit faire 36°C, 37°C, ou plus peut-être, car le soleil frappe ce midi et la pluie n’a pas l’air d’avoir envie d’arriver. Un grumier les suit de près. C’est à peu près comme si on trouvait un poids lourd transportant le tronc de chênes centenaires ou de platanes en plein Paris… Transposition dérisoire peut-être, cela donne l’ampleur de l’activité forestière du pays. On vit aussi parce que l’on déforeste. Je voudrais sortir de la vision réductrice de cette Afrique froissée, pour envisager au fur et à mesure de mes pérégrinations la réalité dans toutes ses nuances.

 

J’ai rencontré Christian il y a deux ans, sur un chantier d’exploitation forestière, à Bipindi. Il est aujourd’hui en train de tenter de réunir la somme que constituent les pots de vins nécessaires à dégager ses mètres cube de bois restant là-bas, espérant fébrilement l’autorisation d’exploitation d’une parcelle dans l’Est, loin derrière, vers Bertoua. Après, il veut laisser là la foresterie, dit-il, se lancer dans l’agroécologie, développer son extrême-nord natal, combattre par les plantes la menace chimique.

 

Ce sont de bonnes idées qui auraient toute leur légitimité sur ce continent, arrivé au point de tension de son histoire en termes de développement durable, de sécurité alimentaire. La réalité, c’est une utopie qui risque d’entrer en collision avec des lobbys.

Lors de mon séjour d’il y a deux ans à Bipindi, j’ai sympathisé avec Philippe et sa compagne Agnès. Lui m’a «trimballée» d’un campement Bagyéli à l’autre avec sa moto, elle m’attendait chaque soir avec une gamelle fumante. Il y a quelques jours, nous avons vécu ces retrouvailles comme un miracle. Mais cette fois-ci, je me demande combien de temps ils supporteront encore leur condition avant de craquer fatalement. J’ai gardé le goût amer du jus tiède que je buvais en les entendant se déchirer dans l’arrière-boutique d’Elie – le bar de Madagascar, quartier ouest de Bipindi. Les mouches y volent au plus bas, survolant des flaques d’huile et des capsules de 33. Il y a un banc défoncé, des bouteilles de Tangui vertes de pétrole, une table sans âge, pas de lumière ou presque, et un ou deux casiers qui contiennent les cadavres des bouteilles consommées. Il est affalé, elle est assise. Une 33 à moitié avancée leur fait face. Ils ergotent depuis trois heures, me prenant tour à tour à parti. Je refuse de m’immiscer sérieusement dans la conversation. D’habitude ils ont la pudeur de ne pas s’y attendre. C’est au départ une histoire de cinq mille qu’il a pris dans leur chambre pour boire. C’est un scandale parce qu’on est dimanche matin, et que cette nuit même, elle m’a vue le ramener de la boîte de nuit en le soutenant par l’épaule ; j’ai eu beau afficher mon air de fête, dire que la musique nous avait plu, qu’on avait tellement ri tous les trois avec Elie… Il n’arrive pas à avaler le bâton de manioc qu’elle rompt devant lui à la lueur du GSM. Lorsque nous étions dans la boîte, je l’ai vu se lever, fragile malgré sa taille, lui le Bamenda bien charpenté, tituber, se raviser, ravaler une gorgée, me supplier de prendre sa fille avec moi en France.

Alors qu’il n’est qu’un jeune garçon, il devient le père de la petite Hélène. La mère de l’enfant, Nathalie, est brillante, une futée du Sud, elle veut devenir institutrice. C’est difficile pour le couple, c’est avant que Philippe n’obtienne sa place de gardien, mais ils se sont débrouillés, ont payé les études cinquante mille par an, les transports jusqu’à Kribi, les langes, le lait, tout, tout. Etait-il sincèrement heureux, quand elle l’a décroché, son diplôme…? Et puis un jour, très vite, plus rien ; parce qu’elle est devenue fonctionnaire – selon lui. Que foutre d’un anglophone qui gagne cinquante mille ? Il a vu déménager Hélène chez un nouveau Papa de vingt ans son aîné. Depuis six ans déjà, il supporte ce type qui voudrait le soustraire à sa fille.

 

Je sors de ma torpeur, on me présente Nathalie. Je ne m’inquiète pas, dans ce bled tout le monde s’appelle Nathalie. Agnès lui sourit gentiment, Philippe ne croise pas son regard. La petite Hélène que je n’avais pas croisé depuis deux ans est là, qui suit avec son panier d’oeufs durs en vente pour le défilé du 1er mai. Elle a grandi, son visage s’aplatit comme un ballon de rugby, empruntant la ligne de celui de son père. Je réalise enfin…

 

La gosse. La mère.

 

 

 

 

Nathalie est donc la « sorcière » dont on cause depuis des heures ! Bon sang, mais comment font-ils pour côtoyer en permanence les mêmes ennemis, et ne pas décoller leur nez de la boue, réempruntant chaque jour le chemin dont ils ont mordu la poussière ? La Nathalie disparaît. Agnès commente : il aime toujours cette fille, il la saluerait au moins sinon. Philippe est éteint. Agnès m’explique qu’Hélène n’est pas la seule enfant, m’en cite trois autres de moins de deux ans dont Philippe a reconnu la paternité. Je fais le calcul, Philippe et Agnès se fréquentaient déjà à cette époque. Mais Agnès «n’accouche pas», et puis elle a cinq ans de plus.

 

« Chez nous en Afrique la femme ne doit pas être plus grande que l’homme, elle va se fatiguer et fâner trop vite. » Il a le malheur d’ouvrir la bouche à nouveau pour dire que maintenant il ne sera plus jamais heureux, et qu’Agnès peut bien « coucher ses chauds toute la journée au champ », cela lui est égal, puisqu’elle est une femme « bordel ». Les vapeurs de l’alcool l’ont égaré sans doute, mais les mots explosent, et viennent chacun à leur tour se planter dans le coeur d’Agnès. Que faire ? Je la prends par le bras et nous allons préparer les mille francs de crevettes qui commencent à transpirer dans leur plastique.

 

 

S’il est un épisode de chasse improbable, c’est bien celui où j’ai suivi les enfants Bagyéli de l’internat de Bipindi le samedi après-midi. Chez nous on les inscrit au tennis ou à l’équitation ; leur foyer, lui, tend à ne pas les couper de leur tradition. Aussi après la classe, le mercredi après-midi ou le week-end, il y a au programme l’activité chasse et ramassage de bois pour les garçons et les filles alternativement. Ils sont tous fiers de m’emmener, il n’y a pas cette méfiance que je perçois chez les adultes qui ne me connaissent pas ou mal, ni même l’appât du gain. Les enfants ne veulent rien. On part ensemble, non ?

 

Quelques cours d’eau plus tard, on est au bord de la Lokoundjé, je reconnais le pont défoncé construit au siècle dernier par les Allemands -sur lequel même coule presque plus d’eau qu’en dessous. C’est fou comme lorsqu’on a besoin de brousse on l’invente. Ils l’ont retrouvée là, toute proche de Bipindi, puisqu’ils sont expatriés de leur village toute l’année. Une bande d’une dizaine de petits gars de sept à quinze ans cavale joyeusement devant moi ; je me prends des troncs, des lianes, glisse dans les cours d’eau, cela les fait rire. Je reconnais Germain, le fils de Louis – mon principal contact au sein des communautés Bagyéli. Cet enfant est le premier au cours moyen à l’école communale de Bipindi cette année. Il cherche beaucoup moins à parler que son pote, alors que son niveau de français est meilleur. Il me guette simplement timidement du coin de l’oeil.

Une flamme s’allume devant un trou. Le bavard me dit que « c’est pour chasser le rat hors du trou. » J’ai observé la technique une dizaine de fois déjà, mais je fondrais de gratitude pour ce gamin qui prend des dispositions pédagogiques avec moi, ce qui ne viendrait même pas à l’idée de ses parents. Chou blanc. Je m’y attendais, il faut souvent « tester » quatre ou cinq trous avant de faire mouche. Comme on ne peut garder de chien au foyer il faut souvent être très réactif à la sortie de l’animal car on devra s’en saisir soi-même.

 

Traversée d’une plantation d’hévéa, nous tentons une incursion du doigt dans les godets caoutchouteux. Renifler nos doigts et… partir d’un éclat de rire commun ! C’est juste sous une bambouseraie que la partie « donnera ». Comment dire qui l’a saisi ? Il a bondi sous mes yeux, hurluberlue que j’étais, siégeant devant un trou, tellement proche que j’en eus le souffle coupé. Sans pour autant entrer en collision, ils étaient dessus en une fraction de seconde, tels des prédateurs, et bientôt un petit, haut comme trois pommes, brandit la bête fièrement sous mon appareil photo. Elle mesure tout son bras. 

A quelques kilomètres de là, ce sont des activités sylvestres d’un tout autre ordre qui se trament. Par une journée de fortune, les forestiers m’ont invitée sur leur chantier. Le « grand matin », Philippe va chercher son carburant, et on met les voiles direction : le campement Bagyéli de Kwalissem. Je saute dans le pick up qui me prend au vol : une douzaine de types sérieusement bâtis, fleurant bon la gnôle, rigolards. Le patron lui même avise le flic du barrage. « Hé, tu as regardé, j’ai pris ma part de Blanche. » Il a un air pincé et est mieux fringué que ses hommes, mais peu de Camerounais ne sauraient se dérider quand il s’agit de causer « petites ». Il me confie à son associé : « Tu marches avec celui-ci. » Un instant après, je dois me hisser comme un sac de sable sur un gros bulldozer Caterpillar.

Secoués comme des pruniers, on atteint le chantier de découpage des grumes. Elles sont amassées comme des petits tas d’allumettes, trois mètres de diamètre et treize mètres de long. Le bulldozer les soulève nonchalamment, elles glissent parfois, il se ravise, la boue gicle comme un sang épais et rougeâtre saignant l’immensité verte. Il y a une forme de majesté dans cet acharnement méthodique à la destruction. Ils exploitent l’Azobé. Comment savoir si en sous-main il n’y a pas un peu de Bubinga qui sort ?

 

Je me contente d’accepter l’état contemplatif dans lequel je commence à m’ensuquer : ériger et déconstruire des tas, isoler une grume. Le chef-chantier tire un mètre de son sac, prend le diamètre, note un chiffre au feutre sur la tranche. On a découpé préalablement une rondelle de chaque côté de la grume. La sciure est vaporisée dans l’air. J’avale des vapeurs de pétrole, la poussière du bois, des moucherons. Ici ils entrent dans les yeux, les narines, la bouche. On m’oublie progressivement. Je m’allonge dans la boue, tête sur une tranche de bois. Des fourmis sillonnent mon cou. Le ronflement de la tronçonneuse a fait taire les oiseaux.

 

 

 

 

Dès que j’ai découvert le secteur agro-forestier, mon attention à été attirée par un certain M. Tchen, directement venu de Shanghaï pour prospecter dans le commerce du bois. Ses vêtements propres, ses cigarettes chinoises, son incapacité à s’exprimer en Français comme en Anglais, formaient un décalage formidable avec l’environnement dans lequel il évoluait, à la mesure du développement schizophrène dont ce pays était le théâtre.

 

 

 

 

 

 

La ville de Kribi sort toujours comme un oasis de lumière au milieu de « l’enfer vert ». On cligne des yeux quand on y arrive, quelque soit la durée du séjour que l’on vient de faire en brousse. L’Océan enfin. Je suis émue de voir les vagues s’écraser, le ciel de plomb de cette journée où la pluie ne veut pas tomber, les chaloupes qui reviennent de la pêche, les filets qu’on tire, cette épave séculaire échouée sur la grève et qu’un malheureux flic «garde» des photographes.  La dernière fois j’avais photographié la ville en plongée, depuis une minuscule chambre d’hôtel, comme chaque fois que je suis mentalement partagée entre l’excitation et l’insidieuse mélancolie d’être seule au bout de la Terre. 
L’hôtel la Grâce fait face à la mer et se trouve non loin de l’hôtel des Anges où j’avais séjourné une fois. Cette situation à l’écart de la ville pousse à l’apaisement, à la contemplation. Quoi que, j’irais bien fureter près du port en eaux profondes, y voir de loin les fameux ouvriers chinois travailler…Tant pis. Ces quarante-huit heures sont à moi. Là, je m’assois, je m’allonge même, sentir la grève sous ma tête, mais oui, tout s’arrête : j’ai tout à coup beaucoup moins chaud qu’à Bipindi. Mon corps entre dans l’eau tiède; j’oublie que j’existe, je refais surface, je pense à tous les amoureux qui ont dû se retrouver là avant moi, à tous les solitaires aussi, à tous les petits gars qui déserteront Douala d’ici « l’émergence 2035 » pour venir chercher la subsistance dans cette nouvelle « capitale économique ». Chaque bouquet d’arbres est un îlot de fraîcheur ponctuant le trajet que j’ai emprunté sur la plage. Je décide de m’arrêter chaque fois que ce palétuvier et ce rocher là me semblent plus jolis que le précédent ; une sorte de lente progression vers le paradis. 

« Pourquoi tu aimes trop le sous-développement ? » Ces mots que je n’attendais pas ont catapulté sans ménagement mon hébétude matinale. Ils viennent de Théo, qui m’avait tant émue il y a deux ans, que j’avais envie de sauver de sa condition de petit menuisier à Kribi, parce qu’il était beau avec ses dreadlocks, parce qu’il était aussi artiste peintre, parce que ses yeux s’embuaient quand il murmurait « Ô mon Cameroun » en regardant la vue sur la colline depuis ma terrasse. Sur cette même terrasse, on pourrait fumer les mêmes Gold Seal, se nourrir de la même ingénue poésie ; et pourtant ce matin ça ne marche pas. Je voudrais lui répondre sur l’absurdité de sa réflexion, mais je sens mon enthousiasme à communiquer mes intentions photographiques s’épuiser avant que d’être né. Au fond, n’est-ce pas lui qui a raison ? Qu’est-ce qui saurait justifier cette attirance des artistes pour un dénuement devenu exotique ?

 

Au commencement, j’ai crû photographier comme j’aimais. Par absolue nécessité, par peur de l’abandon aussi, comme « acte de résistance à la mort » (1). Puis j’ai compris que parfois seule la promesse du plaisir esthétique donne la force de saisir l’appareil. Je prends Théo par la main et nous cheminons vers la piste. Nous sommes le deux mai, beaucoup sont attablés depuis l’aube et « bien avancés » : puisque c’est un jour chômé, il faut « fêter »… Je n’aurai pas à fournir l’effort d’une conversation en tête à tête.

 

 

(1) Cf BAILLY, Jean-Christophe, l’Apostrophe muette : essai sur les portraits du Fayoum. Hazan, 1997

La « cachette bar » accueille tous les notables et moins notables de Madagascar, il y a même ce gendarme, le F.L.I.C. autoproclamé – « Fédération Légale d’Imbéciles en Casquette », cette invention le fait rire à gorge déployée. Joseph, l’oncle de Théo, le prêtre adventiste trop sérieux et fédérateur des amis de la langue Kwasio, est là aussi avec une bière qu’il a l’élégance de siroter. Sa maigreur et les rides sculpturales de son visage m’engagent à le photographier sur le fond d’un mur sans âge dont la peinture jaunasse n’est plus que crevasses. La ‘33’ au second plan, je trouve que c’est un cliché de bar extrêmement emblématique de l’Afrique centrale, ou de Cuba, au hasard. L’équivalent tropical d’une trogne bordée d’apéritifs colorés se reflétant sur un zinc lustré, quelque part dans les Cévennes ou en Moselle. Pourtant Joseph doit être un des seuls hommes sobres du quartier. Le réel en photographie ? Un « ça a été » que l’on crée de toutes pièces. Il y a aussi un immense gars maigre, à la peau extrêmement noire, dont on pourrait sans doute rompre les jambes comme des brindilles. Celui-ci cherchait à jouer au ludo, mais le tas de Fighter (2) éventrés qui traîne sous son siège lui a crucifié le cerveau ; il vacille, cherche des problèmes à Philippe qui a soi-disant sifflé sa bière. Ce dernier me remercie. « Si tu refuses de m’ajouter la bière, c’est donc là que tu m’aimes. » Ses paroles ont résonné dans le bourdon des propos ambients en un éclair de lucidité chez mon ami, s’appliquant sur moi comme la patte veloutée d’un chat. 

 

 

 

(2) Whisky frelaté et venu en sachet plastique, particulièrement toxique pour la santé.

Mon seul miroir étant dans la salle de bains obscure, je me photographie avec le téléphone portable. Devant mon teint gris, j’ai un mouvement d’appréhension. Tout à l’heure l’ascension de la colline de Machuer-Machuer : il faudra pourtant endurer la marche en pleine moiteur. Machuer-Machuer… Louis accentue toujours la dernière syllabe du dernier «Machuer». Comme une invitation à l’imaginaire, une suggestion de mystère. C’est vrai que ce campement en pleine jungle à deux heures de marche de la piste est le lieu de tous les fantasmes. Cette fois-ci il m’attend peut-être plus que des légendes de gorille. Deux nuits de boue, d’eau, de moustiques, de civet de rat au manioc bouilli, et surtout de longues équipées en forêt avec hommes, femmes, animaux. Pour me souvenir que les Bagyélis sont fascinants en leur milieu, qu’ils font corps avec la jungle, il suffit  de me remémorer Bienvenue m’expliquant comment il a égorgé le boa qui avait commencé à lui digérer la jambe. Il y aura toujours ici une enceinte mystique impénétrable, dense comme la forêt qui enserre le campement en brousse. Un rideau magique, un filtre entre eux et la rationalité moderne.

 

« L’enfant a vomi cette nuit le serpent noir : c’est qu’il est sorcier, il a expectoré le mauvais sort. Et ce serpent-là réincarnait un ennemi. » 

Née en 1987 à Manosque (Alpes de Haute-Provence), vit et travaille à Arles. Diplômée d’un BTS Photographie et de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles, elle travaille une image documentaire où le portrait occupe une place prépondérante. Passionnée par la condition rurale et l’autochtonie, elle s’est attachée à photographier au moyen format diverses communautés rencontrées au cours de ses voyages : Evhés du Togo, Bagyélis du Cameroun, Wayanas d’Amazonie…

Le voyage en tant que lieu dédié à la rencontre avec l’autre, lui a donc permis de développer une acuité particulière pour les zones enclavées et les minorités qui les habitent.

Plus d’informations

Son livre

Avant, il y avait un banc où les vieux palabraient,
Texte de Claire Meillon
Auto-édition, 2016, contacter l’auteur.

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