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On y était : le Grand Bivouac 2017

Depuis le temps qu’on entend parler du Grand Bivouac, il fallait bien qu’on empoigne notre piolet, nos crampons et notre table des horaires de la SNCF pour se rendre jusqu’à Albertville, où se déroule chaque année depuis 16 ans ce festival du film de voyage, beaucoup, et de tous ses à-côtés : on y croise aussi des écrivains, des carnettistes, des violoncellistes, des voyagistes, des migrants, et des restaurateurs, entre autres.

 

On a été bluffés dès l’arrivée. Le centre-ville entier est dédié au festival, avec un « Village du Grand Bivouac » qui concentre l’essentiel des activités hors-cinéma, c’est-à-dire un salon du tourisme, une grande librairie, des expos, des cantines et une buvette, où l’on se retrouve assez vite à offrir un verre à un auteur dont on a aimé découvrir le travail, avant que ne s’engage la discussion. C’est là que circulent toutes les rumeurs, et où l’on apprend, entre autres, que Sylvain Tesson boit du café, que les bergers tibétains ont tous un iphone et que les yourtes sont moins imperméables qu’on ne le croit. L’ambiance est détendue et les contacts aisés, pour des discussions qui durent jusqu’au bout de la nuit. C’est aussi là qu’ont lieu les retrouvailles avec les vieux amis voyageurs des quatre coins de la France qui échangent les histoires vécues aux six continents et aux sept mers…

 

Côté programmation surtout, on est ahuris par la profusion et la qualité : une dizaine des salles projettent plus de 40 films sur 3 jours, sans compter les conférences, les concerts, les signatures, etc. Impossible de tout voir, il faut choisir un peu au hasard entre la sélection « Premiers Pas » qui présente des premiers films, parfois maladroits, souvent très généreux, la sélection officielle qui honore les vieux routiers de l’aventure, et le reste des films qui offre des perles absolues. Ca foisonne, et c’est d’autant plus précieux que la plupart de ces films seront peu ou mal diffusés !

 


On ne mentionnera pas les films qu’on a moins aimé ; mais on doit absolument vous faire part de trois moments de grâce absolue. Ca commence dans un théâtre municipal plein à craquer avec « Surf the line », un film sur les Flying Frenchies, ce collectif de funambules, parachutistes, musiciens et alpinistes qui sautent de buildings en buildings, de fjords en fjords, de montgolfière en montgolfière.

 

 

Cette fois-ci, ils font du surf et jouent de la contrebasse, déguisés en clown, à 600 mètres au-dessus des gorges du Bournillon, dans le Vercors. Les images sont à couper le souffle (ça donne envie de voir leurs autres films), la performance sportive est impressionnante, et surtout, on est vite en empathie avec cette troupe de saltimbanques que rien n’arrête, et qui réussissent à incarner en musique et avec légèreté ce beau mot de liberté. Liberté de mener leur vie comme ils l’entendent, liberté de s’amuser avec le danger, liberté de n’accepter ni la gravité des hommes ni la gravité terrestre. Grosse cerise sur le gâteau : à la fin du film, qui voit-on descendre des cintres, pendus tête en bas, attachés à leur inévitable contrebasse ou à une tomate géante ? Quatre des membres de la troupe qui nous offrent un petit concert d’un quart d’heure avant d’engager la discussion avec la salle. Si vous avez l’occasion de les voir en festival, n’hésitez pas, en attendant la sortie du DVD.

 

A noter que le film sera diffusé le 4 décembre à 20h40 sur la chaîne TREK !

 


Deuxième moment de grâce : « Raving Iran », de Susanne Regina Meures. Ca commence comme une devinette : comment deux jeunes DJ’s de house vont arriver – ou pas – à jouer leur musique au coeur de l’Iran des ayatollahs ?

 

 

Ca devient vite une immersion dans les ambiguïtés et les hypocrisies d’une société dictatoriale dont la moitié de la population a moins de vingt-cinq ans et veut vivre libre, et notamment choisir quelle musique elle veut écouter. On se demande à chaque scène comment ils ont réussi à obtenir ces images : la discussion avec l’officier de censure qui déconseille vivement au groupe d’employer une chanteuse, ou alors pour faire les choeurs d’un chanteur homme, les négociations avec les disquaires à qui les deux musiciens demandent de vendre leur album clandestinement, avec le passeur qui doit leur fournir des visas pour la Suisse, où ils sont invités à donner un set lors d’un festival. Au final, ces deux jeunes gens qui risquent leur vie quotidiennement pour jouer de la musique font penser à des opposants politiques, mais des opposants du XXIème siècle, des opposants par la fête et le téléphone portable. Portrait d’une jeunesse mondiale qui a faim de tranquillité, une nécessaire inversion des points de vue.

 

Et puis le film bascule lorsqu’ils sont invités en Suisse. D’opposants malgré tout, ils deviennent migrants en devenir, exilés parce que leur musique est interdite. On rentre dans les questionnements de tous les réfugiés : comment sortir d’un pays fermé ? Et s’ils partent, doivent-ils abandonner leur famille, leur petite copine, et rester là-bas ? Partir pour vivre ou rester pour résister ? A voir absolument, en festival, à la télévision suisse ou allemande, mais aussi en DVD et VOD !

 


On pensait avoir atteint des sommets de justesse avec Raving Iran, mais voilà qu’au détour de la sélection « Premiers Pas », on tombe sur le film le plus poétique qu’il nous a été donné de voir depuis plusieurs années : « Rana Tharu, des princesses déracinées », de Pierre Benais. Dans une des régions les plus reculées du monde, à l’ouest du Népal, le jeune réalisateur est allé vivre plusieurs mois au sein de cette ethnie extrêmement pauvre, originaire du Rajasthan. On raconte que des princesses hindoues, laissant leurs maris et leurs frères combattre les Moghols, se sont réfugié dans les montagnes avec leurs esclaves. Leurs hommes ayant été décimés, elles y sont resté et se sont remarié avec les esclaves, sans que le rapport hiérarchique change. Trois siècles plus tard, leurs descendants perpétuent cette histoire, malgré une vie d’extrême pauvreté.

 

 

Il faut commencer par dire que ce film était diffusé pour la dernière fois à ce festival du Grand Bivouac, il ne sera donc plus visible, sauf si le réalisateur le laisse à disposition sur Internet. Si ça a lieu, on vous le dira aussitôt…

 

Tout le film est construit autour de l’aînée du village, une femme de 72 ans prénommée Laltilla, dont on suit la vie quotidienne, mais aussi les pensées. En effet le film n’a pas de prise de son directe. Comme dans l’immense « Roman d’un tricheur » de Sacha Guitry, on est d’abord immergé dans la voix intérieure du personnage qui nous accompagne tout au long des images. C’est donc un conte autant qu’un film, avec une voix réécrite par le réalisateur à partir d’interviewes et lue en français par une comédienne, pour un texte tout en poésie, en pudeur, en grandeur d’âme. Et que nous dit cette femme ? Que son peuple est avalé par la modernité, et que c’est une bonne chose ; que ses enfants et petits-enfants ont fui le village pour la ville, écoutent de la techno sur leur téléphone portable (cf Raving Iran) et qu’ils sont bien plus heureux comme ça !

 

C’est d’ailleurs une leçon plusieurs fois entendue lors du festival, notamment dans la bouche du photographe Olivier Föllmi : pour les plus pauvres des humains, la modernité est une libération ; le monde change, il faut accepter le changement dans ce qu’il a de positif, même si cela implique de dénaturer des paysages et des cultures millénaires. On vous laisse méditer là-dessus, et on vous donne rendez-vous à Albertville l’année prochaine pour le Grand Bivouac 2018.

 

 

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