Ouaga la nuit  par Sonia Yassa

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1
Haoua au billard
Ouagadougou, Koulouba
29.03.2015 - Voir la carte
2
Serveur dans un bar à orchestre
Gounghin
21.12.2014 - Voir la carte
3
B. et un Marine en boîte de nuit
Koulouba
10.01.2015 - Voir la carte
4
La moto de Noufou
Wentenga
26.12.2014 - Voir la carte
5
Vendeur ambulant
Zone d’Activités Diverses
14.12.2014 - Voir la carte
6
S. endormi
Samandin
30.11.2014 - Voir la carte

Sonia Yassa

Quatre à cinq soirs par semaine, je me rendais au Pub De Niro jouer au billard. Plusieurs soirs d’affilée, je remarquais une joueuse au billard voisin. Comment ne pas remarquer cette femme au physique élancé ? A sa façon d’être, de se vêtir, on comprenait de suite qu’elle venait d’ailleurs, aussi parce que son physique contrastait avec celui des burkinabés à l’embonpoint parfois proéminent. Cette joueuse passait ses soirées à défier des adversaires masculins, vociférant pour capter l’attention du bar entier. Un soir, sans adversaire, je lui propose de jouer une partie.

 

Je lui demandais ce qui l’amenait à Ouagadougou ; elle me dit d’abord qu’elle était en vacances, puis qu’elle cherchait du travail. Je trouvais la proximité de ces deux réponses curieuse, sans m’y attarder plus.

 

Elle s’appelait Haoua. Elle était Nigérienne. Une camaraderie s’installa vite entre nous ; jouer au billard était devenu une habitude. Nous sortions souvent en boîte de nuit où elle déployait alors ses apparats. Mais surtout sa stratégie de drague : assise au bar, elle demandait un Coca, puis elle observait ce qui se passait autour d’elle. Quand rien ne se passait, elle vociférait de nouveau contre les hommes. Ce qui ne manquait pas d’attirer certains dans un débat. Son arme ultime était la danse, et son sens de la fête. Aussi dépensait-elle son argent, sans que je comprenne comment elle le gagnait puisqu’elle n’avait pas d’emploi. Elle avait un moyen de subsistance dont je ne connaissais pas le nom.

 

Au fur et à mesure, on s’aperçut que des amants européens l’entretenaient. Peut-être m’avait-elle considérée comme une alliée en me révélant le vrai motif de sa venue à Ouaga. Cette intrigante avait fui Niamey après avoir détroussé l’un de ses prétendants.

 

À force de jouer avec les apparences, Ouagadougou finit par la démasquer. Elle ne payait pas sa chambre d’hôtel malgré l’argent donné par un de ses prétendants. Comme le propriétaire menaçait d’appeler la police, elle échafauda avec un client du De Niro un plan pour rejoindre Niamey. Une voiture viendrait la chercher, elle et tous ses bagages, à son hôtel.

 

Un soir, Haoua quitta Ouaga, en laissant derrière elle une ardoise astronomique, et surtout en ayant fait des petits emprunts à des bourses très modestes sans rien avoir remboursé. Malheureusement pour moi, je faisais partie des bonnes âmes escroquées…

Du jeudi au dimanche, la musique retentit dans les bars à orchestres. On y joue live des standards de la musique africaine. On y entend la rumba, le warba, du reggae, du rock, le ndombolo congolais, la salsa. Une douce ambiance rétro qui distille sa nostalgie à mesure que le soleil se couche.

 

Assise sur une chaise métallique devant une petite table basse, j’appelle désespérément un serveur d’un signe de la main. Face à cet échec, l’ami qui m’accompagne, Noufou, lance un « psst » assez fort et long pour interpeler le serveur. Il ne peut plus nous ignorer puisque tout le monde l’a entendu. Le jeune homme se présente à la table, et mon ami lui demande pourquoi il fait semblant de ne pas nous avoir vu. Celui-ci prétend modestement ne pas s’être rendu compte de notre arrivée. Il donnait plutôt l’impression d’être las de son job ; il nous demande ce que l’on boit. Noufou demande une Castel, et moi une Beaufort. Le temps que la bière arrive, les classiques s’enchaînent, la piste s’emplit et se vide, pour se remplir de nouveau de Tontons et de Tanties. Nous sommes les plus jeunes dans l’auditoire. La soirée passe, les bières aussi, le serveur trimbale ses paniers de boissons et ses caisses de bières empilées.

 

Ainsi file le dimanche à Ouaga dans les matinées dansantes.

Tout a commencé quand B. m’invite à la suivre au Starnight, une boîte de nuit fréquentée par de jeunes Burkinabés et quelques Occidentaux. J’ai rencontré B. la veille dans un autre bar du même quartier.

 

Je la rejoins dans la boîte avec un ami. A notre arrivée, les spots et les lasers tournoient sur les tubes d’afrobeat nigérian. Elle est déjà sur la piste en train de « faire le show » comme on dit couramment à Ouaga. Assis en bord de piste, nous ne quittons pas des yeux cette danseuse hors pair, qui finit par venir nous saluer. Après quelques banalités, elle attire mon attention sur un homme blond vêtu d’une chemise bleu, accoudé au bar avec quelques camarades. Elle me dit avoir craqué sur le jeune homme. Je la pousse à aller lui parler, mais visiblement trop timide, B. n’ose pas. Je vais donc voir le jeune homme et lui parle à l’oreille malgré les décibels élevés. Il est anglophone. Aïe, comment vont-ils se comprendre ? Je lui dis que mon amie veut l’inviter à danser : pour danser pas besoin de traduire. J’attire le jeune homme et lui présente B., qui lui prend la main et l’attire sur la piste.
Il danse et après un bon quart d’heure, le couple s’apprête à quitter le club. B. me remet les clés de sa moto car elle part avec le 4×4 de l’Américain. Je lui demande de faire attention à elle, et de se protéger dans le cas où les choses deviendraient plus sérieuses.

 

Le lendemain, la miss vient récupérer les clés de sa moto à mon domicile. Je lui demande comment s’est passée sa soirée. Et là elle me dit que « ce Blanc-là est un connard ! ». Ils sont allés au Calypso danser, là-bas il rencontre d’autres filles, puis ils repartent tous en groupe vers un autre club, puis la voiture s’arrête et ils laissent B. au bord de la route, à la station Total de Koulouba, comme ça ! Elle n’a pas eu de mal à trouver un taxi. C’est déçue qu’elle a fini par rentrer, elle n’a pas continué sa soirée.

J’ai rencontré Noufou lors d’une manifestation avec des artistes plasticiens. Peintre, décorateur, mais aussi musicien, il était plutôt sans le sou. Si bien qu’il devait encore compter sur sa moto déglinguée, malgré les moqueries et les regards. Il faut dire qu’il avait une attitude plutôt rock’n’roll qui lui permettait toutes les extravagances. Même celle de rouler avec une moto complètement destroy, baptisée S’mbo s’gho, ce qui signifie en mooré « on ne peut compter que sur soi-même ». Tout un programme.

 

Quand je l’ai connu, je trouvais qu’il avait tout pour faire un artiste accompli. L’attitude, les idées, la foi dans ce qu’il faisait malgré une vie de rudesse. Il vivait dans une cour avec le reste de sa famille : sa mère, ses deux sœurs et son frère. Pour s’assurer une subsistance, il vendait des peintures, faisait de la typographie d’enseignes pour des commerçants ou des concerts. Puis il rencontre un voyageur canadien, qui devient son ami. Le Canadien s’avère fan de ses compositions folk, et accepte de produire son album. Une nouvelle aventure commence donc pour Noufou, qui enregistre avec quelques-uns des meilleurs musiciens du Burkina, et il n’est pas difficile de savoir que bon nombre d’entre eux sont à Ouagadougou. L’album connaît un succès musical, avec un clip qui passe sur la chaîne musicale Trace Africa.

 

Juste retour de ce succès : il s’est acheté une moto flambant neuve.

Un dimanche de curiosité, nous nous rendons à la ZAD de Ouagadougou avec Noufou. On m’avait parlé des jeunes stunters à moto, à vélo et à rollers. Sur les larges pistes, les curieux se rassemblent et les jeunes se défoulent en cascades. Mais déjà le soleil se couche et nous voici attablés dans un de ces nombreux maquis au bord de la route. Avec des dizaines de tables métalliques posées çà et là dans le sable rouge, les serveurs passent de table en table prendre les commandes. En attendant la nôtre un défilé de vendeurs ambulant se présente à nous : celui-ci vend des ceintures, l’autre des jeans pour homme, celui-là des lampes anti-moustiques ; ce qui leur permet de tirer leur source principale de revenus ou de l’argent de poche.

 

La particularité de ce cortège, c’est que la pénombre du maquis le définit comme anonyme. D’ailleurs, tapis dans l’ombre, la plupart des clients pensent voir sans être vu. Regardeurs chevronnés, ils passent leur temps à observer, un attentisme parfois absurde lorsqu’aucun évènement ne se produit. Heureusement, les discussions ne manquent pas, surtout lorsqu’il s’agit de parler de la vie des autres, comme ne manquent pas de le souligner la plupart des tubes de la pop ouest africaine, Serge Beynaud en tête.

Un dimanche, j’ai rendez-vous avec S. pour une séance photo. S. est un des meilleurs guitaristes de sa génération. Instrumentiste surdoué, son jeu à la George Benson en fait un des plus prisés de Ouagadougou. Quel talent, que l’on voudrait voir grandir, et pourtant S. continue de jouer dans les bars à orchestres les weekends. Pas par manque de volonté, non, mais parce que le milieu des arts manque d’opportunités et de considération au Burkina Faso.

 

En arrivant dans sa cour, j’entends son voisin nigérien chanter à tue-tête des chants religieux. C’est vrai qu’on est dimanche. Je toque et ouvre la porte métallique de son deux-pièces défraîchi. Les volets sont fermés, il dort toujours. Il est pourtant 13h30.

 

Dans son célibaterium à 20.000 CFA par mois, S. partage avec deux autres maisons une cour avec l’unique robinet d’eau courante, et des sanitaires glauques dépourvus de portes. Dans la vie nocturne on fait toujours au plus simple : on mange dans les maquis, on ne cuisine pas faute de place, de temps ou d’ustensiles, on achète tout sur la route à des vendeurs ambulants ou sur le bas-côté de la voie. On ne sait plus bien finalement si ces noctambules sont maîtres de leur destin ou s’ils sont démissionnaires, tant le laisser-aller peut prendre possession de leur vie. Mais c’est aussi dans cet ici et maintenant que se portent les valeurs les plus nobles du partage et de l’amitié.

Ainsi S. fut le premier burkinabé avec qui je me liais d’amitié, le jour même où je foulais le sol de Ouagadougou. Nous étions dans le même avion. Lui revenait d’une série de concerts en France, et moi je débarquais à Ouagadougou. Dans la file d’attente de police, nous avons échangé quelques banalités, nous sommes salués, pour nous revoir quelques jours plus tard dans un club de musique où il officiait. Aujourd’hui nous continuons de nous appeler pour prendre de nos nouvelles.

Photographe diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles, Sonia Yassa inscrit sa pratique artistique dans les nouvelles écritures documentaires: à la fois créative et ancrée dans une trame sociale.

 

Elle trouve son inspiration dans le voyage, et notamment en Afrique, avec deux projets personnels au long court.

 

Depuis 2012, elle mène une enquête photographique dans la Kabylie natale de ses parents, prenant pour thème une jeunesse dans l’Algérie coloniale, et sur un territoire historique qui a servi de champ de bataille durant la Guerre d’Algérie: la forêt d’Akfadou.

 

Depuis 2014, elle réalise plusieurs collaborations avec le monde de la musique: pochettes d’albums, vidéos, affiches, notamment pour le Label Bleu (la Maison de la Culture d’Amiens).

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