La chasse aux aurores boréales  par Hermine Melliat

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1
Fraîchement arrivée !
Tromsø
26.12.2015 - Voir la carte
2
A la découverte des baleines
Quelque part dans les fjords
27.12.2015 - Voir la carte
3
Première chasse, premières déceptions
Près de Kaldfjord
28.12.2015 - Voir la carte
4
Des visiteurs étonnants
Près d'Ersfjordbotn
29.12.2015 - Voir la carte
5
Charmant Tromsø
Tromsø
31.12.2015 - Voir la carte
6
Appréhensions
Dans la montagne
31.12.2015 - Voir la carte
7
Savourer l'instant !
Le port de Tromsø
31.12.2015 - Voir la carte

Pour aller plus loin

Tout dans ce grand nord norvégien est saisissant, à commencer par la température. Dès la sortie de l’aéroport, je comprends pourquoi j’ai amené des vêtements particulièrement chauds. Sac vissé sur le dos, parka en place, bonnet descendu, me voici en train de poser un pied sur la neige norvégienne, à Tromso, au-dessus du cercle polaire. Je suis venue ici pour chasser un phénomène naturel que de nombreux voyageurs ont essayé de contempler : les aurores boréales. Ici, je veux vivre la recherche, la chasse, la traque. Je veux observer, sentir, espérer puis déchanter, ressentir puis douter, explorer, chiner et enfin trouver ce trésor tant désiré. Je veux ensuite me laisser emporter par la danse lumineuse et les couleurs vives. Je veux voir ce que les magazines, les cartes postales et les agences de voyage promettent.

Durant cette quête, mon repaire se situe dans une maison de quartier située en périphérie de Tromso. Pour s’y rendre, il faut lutter pour ne pas glisser. Cela fait trois jours qu’il n’a pas neigé et la poudreuse déjà tombée s’est transformée en véritable patinoire. Tel un héros de dessin animé, je me débats pour rester sur mes deux pieds. Les quinze kilos de mon sac à dos n’arrangent rien et il fait nuit. Pour éviter un accident, il faut multiplier les astuces : poser un premier pied pour s’assurer que ça ne glisse pas, puis un deuxième définitif. J’essaye aussi d’envoyer les deux pieds en même temps, pour éviter le déséquilibre. Conseil aux baroudeurs du Grand Nord : ça ne marche pas. Enfin, je tâche de repérer les anciennes traces, supposant que si les autres ont emprunté tel itinéraire, c’est qu’il est sûr. Grossière erreur ! Je manque de tomber toutes les trois foulées, tandis que sur le trottoir d’en face, des Norvégiens déambulent avec grâce et fluidité. Il me faut en tout presqu’une heure pour parcourir à peine un kilomètre. Je sens que l’aventure va être longue…

A l’intérieur de la maison qui sera mienne pour les prochains jours, je ne suis pas seule. Anne-Sophie et Brice, venus comme moi chasser les aurores boréales, arrivent du Sud de la France. Lui est infirmier libéral et elle réalise une thèse sur les conditions de vie carcérales. Généreux, simples et (très) drôles, les deux tourtereaux arborent une complicité sans faille. A les voir, j’ai envie de tomber amoureuse !
Dès le début, nous sommes sur la même longueur d’ondes. Nous décidons de partir ensemble en excursion à la rencontre des baleines. Et justement, le lendemain, alors que nous avalons encore notre petit-déjeuner, Arndt débarque à la maison. Il a tous les attributs du Capitaine : les cheveux et la barbe grisonnants, bourru mais attentionné, le regard direct compensé par une patience à toute épreuve, nous partons en confiance. Dans le 4×4 qui nous emmène jusqu’à son bateau, nous assistons à un spectacle d’introduction époustouflant. Devant nous, le lever du soleil s’étale sur les montagnes enneigées. Rose, jaune, orange. Les couleurs se battent pour prendre l’avantage. A cet instant, l’impression que le soleil va surgir est grande, mais il n’en sera rien. Pas la peine d’espérer. Cette luminosité restera la plus forte de la journée et ne durera que 4 heures…

Arrivés au port, il nous indique son embarcation : un petit bateau de pêche qui nous laisse dubitatifs. Il est minuscule et surtout, son âge reste un mystère. Nous nous regardons furtivement avec Brice et Anne-Sophie et nos pensées se rejoignent « comment allons-nous affronter la mer sur cette coquille de noix ? » Devant l’air détaché d’Arndt, nous montons à bord, peu rassurés. Sur le pont, des objets en tout genre jonchent le sol. Cannes à pêche, filets, bouées… A l’intérieur de la cabine, l’environnement est tout aussi désordonné. Des casseroles se mélangent aux livres, du matériel navigant clignote, de la nourriture traîne. Une plaque de gaz est même allumée ! Du feu dans un bateau en bois, aucune inquiétude à avoir…

C’est ici que commence ma première chasse. Pour trouver les cétacés, Arndt scrute les alentours et se fie à ses machines. Pendant près d’une heure, nous n’apercevons que des tâches grises au loin. Une organisation s’installe entre le capitaine et nous. Il s’occupe de regarder devant, et nous derrière. Nous l’aidons à se diriger selon les queues que l’on voit surgir.
Mais les baleines se laissent désirer. Même si le paysage est à couper le souffle, je commence à m’impatienter. Je meurs d’envie de voir les cétacés en liberté. Pour les apercevoir, nous citadins devont payer des sommes astronomiques à des parcs d’attraction qui nous les présentent enfermés dans des bocaux. C’est tellement paradoxal, et même absurde, de vouloir découvrir ces animaux sauvages en captivité…
Après une heure de recherches, Arndt coupe le moteur. « They’re here ». Les flots s’agitent à une cinquantaine de mètres du bateau, et là : un orque, puis un autre, puis une famille entière ! Ils sont juste là, immenses et beaux. Ils pourraient très bien fuir ou même nous attaquer – ils n’auraient aucun mal à renverser notre frêle esquif – mais je me rassure en me disant qu’ils n’ont après tout aucune raison de le faire. Et puis, le temps s’arrête. A ce moment, je n’ai pas envie d’aller plus loin. Je les contemple, j’observe cette nature que l’on côtoie si peu d’habitude. Certains nagent tout près de notre embarcation. Nous parvenons même à nous rapprocher des baleines à bosse qui nous livrent un ballet digne des documentaires animaliers. A coups de queue et de sauts dans l’eau, elles nous narguent et elles ont bien raison. Ici, elles sont les reines et nous, les humbles.

Ce soir, l’excitation est grande. Je vais apercevoir mes premières aurores boréales. J’ai hâte de me retrouver face à elles. Je suis venue ici pour me sortir de ma routine, vivre quelque chose d’extraordinaire. Même si le mode de voyage que j’ai choisi n’a rien d’extravagant, l’objet du périple, les aurores, se suffit à lui-même. Je veux me retrouver face à elles et être déboussolée, ne plus rien pouvoir expliquer. Je veux sortir des carcans de la banalité, le temps d’un ballet d’aurores, simplement. C’est face à l’inaccessible que l’on se sent vivant. Ce soir, je pars avec Brice et Anne-Sophie. Eux-aussi meurent d’envie de rencontrer l’inexplicable. Dès que nous franchissons les dernières habitations, les panneaux se font de plus en plus rares, et notre maîtrise du lexique de base du norvégien se révèle vraiment insuffisante. Nous avançons selon notre instinct et les suppositions vont bon train : « en hauteur, on devrait mieux voir », « il faut s’éloigner de la lumière artificielle des villes », « suivons les voitures ». En réalité, nous sommes perdus. Nous décidons de nous arrêter et de poursuivre à pied.

Les yeux tournés vers le ciel, nous entamons l’ascension d’un pic. Plus nous avançons, plus l’épaisseur de la neige augmente. Malgré nos après-skis et nos combinaisons, la poudreuse s’infiltre partout. Décision est prise de s’arrêter pour ne plus lâcher le ciel des yeux. Une minute, puis deux, puis cinq, puis quinze, puis trente. Rien ne se passe.
L’attente devient longue. Nous désespérons.
Les seules lignées vertes que nous observons sont celles que Brice prend en photo. En effet, l’appareil saisit des nuances que nos yeux ne distinguent pas. Et même sur l’écran, la couleur est faible. Je repense aux cartes postales sur lesquelles les aurores sont d’un vert étincelant. Sur le papier, elles semblent faciles à attraper, dans les faits elles le sont beaucoup moins. Je commence à désespérer. Je n’avais pas envisagé de repartir d’ici sans en avoir vu. J’ai beau apprécier l’aventure et la chasse, si je ne trouve pas le trésor tant convoité, la frustration sera grande.
Nous reprenons la route pour changer de point de vue. Après 25 minutes, il nous semble apercevoir une tracée verte. « Arrêtons-nous sur le bas-côté ! » Brice tourne le volant et s’enfonce dans la neige mais en Norvège, les bords de route ne sont pas dégagés. La voiture s’enfonce dans un mètre de poudreuse, impossible de redémarrer. « Euh, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » Nous sommes perdus au milieu de nulle part, impossible de faire venir une dépanneuse, nous n’avons pas de numéro à appeler, nous ne saurions de toute façon pas lui dire où nous sommes… On dit souvent qu’en voyage, les situations les plus impromptues sont celles dont on se souvient le plus, reparlons-en dans quelques années…

Nous essayons d’arrêter une voiture. La première ralentit, baisse sa vitre et ses passagers, des Asiatiques, nous photographient et poursuivent leur chemin… Même ici, dans le grand Nord, ils restent fidèles à leur réputation ! Il faut attendre 15 minutes supplémentaires pour que des Allemands et un couple de Norvégiens s’arrêtent pour nous aider. Tous ensemble, nous dégageons la voiture en quelques secondes. Et personne pour immortaliser sur son smartphone ce grand moment de fraternité automobile. C’est peu de dire que la soirée n’aura pas été à la hauteur de mes espérances. En venant ici, j’ai voulu éviter les tours operators pour ne pas me confondre avec le tourisme de masse mais peut-être qu’avec eux, j’aurais eu plus de chance…

Pour ce deuxième soir, Brice, Anne-Sophie et moi décidons de choisir un endroit et d’y rester toute la soirée. Nous arrivons au bord d’un fjord, là où la mer a creusé son sillon au cœur des montagnes. D’un bout à l’autre, la distance ne dépasse pas les 100 mètres. Seule la route qui fait le tour est éclairée. Le reste n’est qu’ombres. La mer se distingue par ses clapotis. Je ressens une étrange sensation de vide. Ici, tous les sens sont perturbés par la pénombre permanente et le silence oppressant. Je n’ai pas l’habitude de côtoyer de si grands espaces ! Mon instinct de citadine essaye de s’adapter avec difficultés. Rien dans les alentours ne lui rappelle ce qu’il connait. Mais c’est ce que je souhaitais en venant ici : me perdre. Tou à coup, un bruit surgit de la mer. Quelques minutes plus tard, le même son accompagné de petites vagues retentit. Pas de doute, nous avons entendu la même chose sur le bateau d’Arndt. Nous voilà donc en train de chasser les aurores boréales, dans un décor magnifique, accompagnés par une baleine. Cette rencontre imprévue met du baume au cœur. Bercés par les souffles de l’animal, nous scrutons le ciel et profitons du calme majestueux que nous impose le mariage mer-montagne.

Bientôt, notre précieuse solitude est perturbée par deux véhicules qui se garent en face de nous. Les occupants, une petite trentaine, descendent jusqu’à la mer, grimpent dans des bateaux et s’éloignent d’environ 20 mètres du rivage. Dans la pénombre, nous peinons à distinguer leurs gestes. Nous essayons donc de les éclairer avec une lampe torche, mais le faisceau nous revient rapidement dans la figure et nous éblouit ! Les bandes réfléchissantes de leurs gilets de sauvetage nous renvoient notre lumière. Nous retentons, hilares. Les voilà installés comme des sardines dans des canots de sauvetage à attendre des aurores qui ne viennent pas ! Même si hier je regrettais presque la chasse de masse, aujourd’hui, je suis contente de ne pas être à leur place.
Au bout de deux heures d’attente, une faible trace verte grandit doucement dans le ciel. L’espoir nous tient. « Ca y est ! » Des traînées commencent à se dessiner. Timides, elles ondulent, frissonnent puis s’en vont de l’autre côté de la montagne. Quelques minutes plus tard, elles reviennent, traversent le ciel et repartent de nouveau. La danse est brève et craintive, les couleurs pâles. « C’est ça les aurores boréales ? » Je reste de nouveau sur ma faim. Décidément, la chasse n’est pas une grande réussite. Voilà deux soirs que nous rentrons bredouilles. J’en viens à me demander si c’est nous qui sommes mauvais…

Aujourd’hui, je m’en vais explorer Tromso. Ma déambulation commence par le port où de gros paquebots de croisière sont amarrés. En descendent des touristes curieux et fascinés. Un peu plus loin, des bateaux de loisirs et de pêche se partagent le reste des pontons. Le ciel est d’un bleu-gris profond. A le comparer à la mer, on pourrait presque les confondre. L’ambiance de cette petite ville norvégienne me plait. C’est dans ce type d’endroit que les voyageurs seuls ne ressentent jamais le poids de la solitude. Même si personne ne se parle, la bienveillance ambiante offre un refuge. La rigueur des nordiques me plait également. Tout, dans les restaurants et les habitations, est ordonné. Chaque chose est à sa place pour une raison bien définie. Cet ordre m’apaise. Dans le centre de Tromso, la vivacité des couleurs des bâtiments dénote avec la faible luminosité. Aux fenêtres, les habitants ont disposé des lanternes en forme d’étoiles, de bougies et de pyramides. Elles sont allumées à longueur de journées. Au détour de certaines rues, des petites places surgissent, au charme émouvant. Dans les cafés, égrenés le long des rues, résidents et voyageurs partagent une boisson chaude. Dans les magasins, l’heure est aux derniers préparatifs pour la soirée du Nouvel An. Aujourd’hui, c’est jour de fête. Moi, je me contenterais d’aurores boréales, si elles daignaient se montrer.

Nouveau soir de chasse. En sortant de la ville, nous ne parlons pas. La route est sinueuse, les voitures peu nombreuses. Dès que nous avons franchi la première montagne, nous voilà sur une route droite, enfermée dans une vallée. Sur les côtés, deux chaînes montagneuses la protègent. Contrairement aux décors que nous avons pu apercevoir jusqu’ici, celui-ci est régulier et monotone. Il va de pair avec mon moral. L’excitation des premiers soirs a disparu. Je reste muette et peu confiante. La journée a été nuageuse, je ne vois pas pourquoi les aurores seraient visibles ce soir… Défaitiste, je songe à mon retour. Habituellement habitée par un optimisme contagieux, ce soir, je n’y crois pas. Je scrute le ciel sans y prêter une réelle attention.

Après à peine 30 minutes de route, nous distinguons une ligne verte dans le ciel. Nous sortons de la voiture et patientons. Je suis obligée de reconnaître que de timides tracées verdâtres perturbent l’obscurité du firmament. Progressivement, elles s’accentuent et livrent ballet. Nous n’en revenons pas. Le spectacle est à couper le souffle. Les aurores sont bien définies, de couleurs vives et dansantes. Elles vont et viennent, gigotent, sautillent, frétillent. Sans voix, nous admirons la valse féérique. L’instant ressemble à un morceau de piano dont chaque aurore serait une note. Leur furtivité est telle que nous ne parvenons pas à toutes les suivre. Elles disparaissent aussi vite qu’elles réapparaissent, comme si elles refusaient de se laisser attraper. Ce soir, ce sont elles qui mènent la danse. Durant près d’une heure, c’est l’extase, l’ivresse, l’exaltation. A cet instant, la grâce tombe sur nous. Je reviens à la vie et retrouve mon excitation. Elles sont là, enfin, devant nous. Je ne serai finalement pas venue pour rien ! Devant l’interminable danse, je jubile. Tout me parait plus intense : les couleurs, le temps, les paysages. Je ressens chacun de mes gestes, chacune de mes émotions. A cet instant, tout peut arriver, rien ne pourra perturber ma joie : je suis devant l’absolu, le magnifique, l’inconditionnel.

Finalement, les aurores boréales se sont livrées dans des conditions parfaitement imprévisibles : sur le bord d’une route, au milieu de nulle part, sans prévenir. La chasse a été source d’excitation, de craintes et de déceptions. La nature, insoumise et magnifique, nous a une nouvelle fois rappelé qu’elle n’est pas à la disposition de l’homme. Nous revenons en ville pour célébrer la fin de l’année auprès des gros paquebots aperçus ce matin. Sur la rive d’en face, des petits feux d’artifices jaillissent. Le rythme s’intensifie au fur et à mesure que l’heure approche. Sur le quai, nous ne sommes pas seuls. Habitants et voyageurs sont à nos côtés. Brice et Anne-Sophie se prennent dans les bras, l’heure est aux sentiments. Je suis à la fois seule et entourée. Loin de chez moi, je pense à mes proches qui me manquent. Rares ont été les fois où j’ai célébré le changement d’année sans eux mais cette fois, je ne regrette rien. J’ai vécu l’extraordinaire, je me sens vivante. Sur la montagne d’en face, 2015 apparait en flammes et se transforme rapidement en 2016. Le feu d’artifices éclate ! Dans le ciel, le vert, le jaune, le rouge, le bleu jaillissent dans une danse folle. Les yeux collés au ciel, j’apprécie le spectacle. L’un des paquebots fait retentir son klaxon, inconnus et proches s’embrassent, je savoure l’instant.

Le portail officiel de la ville de Tromsø

 

Sur le Web

L’indispensable www.auroresboreales.com

Les aurores boréales vues de l’espace, grâce à la NASA: http://bit.ly/1Qhgla2

 

Quelques lectures

L’aurore boréale, recueil de contes, Lucia Popova, 1993, L’Harmattan

 

 

Aurores boréales, roman, Damien Rauch, 2014, Edilivre

 

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