Le premier voyage de Vasco de Gama aux Indes  par Anonyme – attribué à Alvaro Velho

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Au nom de Dieu, amen
Port du Restello, à l'embouchure du Tage
27.12.1498 - Voir la carte
2
Une première péripétie
Îles du Cap-Vert
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3
Premier contact avec des indigènes
Baie de Ste-Hélène, République d'Afrique du Sud
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4
La dernière terre explorée
Baie d'Algoa, République d'Afrique du Sud
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5
La terre des Bonnes Gens
Inharrime, Mozambique
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6
Premier contact avec les Maures
Île de Mozambique
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7
Pour ouvrir la voie des Indes, il leur faut un pilote
Malindi, Kenya
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8
Arrivée en vue de Calicut
Kappad, Kerala
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9
Buena ventura ! Buena ventura !
Kappad, Kerala
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10
Entrée à Calicut – une curieuse église
Khozikode, Kerala
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11
Présentation au roi de Calicut
Palais du Zamorin, Khozikode, Kerala
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12
Bloqués à Pandarane
Koyilandy, Kerala
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13
Départ fâchés
Koyilandy, Kerala
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14
Scorbut à Mogadoxo
Mogadiscio, Somalie
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15
Retour à Mélinde
Malindi, Kenya
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Première page du manuscrit conservé à la Bibliothèque municipale de Porto
© Bibliothèque municipale de Porto

Au nom de Dieu, amen. En l’an 1497, le roi Dom Manuel, premier du nom en Portugal, envoya quatre navires à la découverte; ils allaient à la recherche des épices. De ces navires , Vasco da Gama était le commandant en chef; l’un était sous les ordres de Paul da Gama, son frère, & un autre sous ceux de Nicolas Coelho (1). Nous sommes partis de Restello un samedi, huitième jour du mois de juillet de ladite année 1497, commençant notre route que Dieu notre Seigneur nous permettra d’achever pour son servlce, Amen.

(1) La flotte est composée de deux caraques, d’une caravelle et d’un quatrième navire d’approvisionnement, qui sera coulé peu après le passage du Cap de Bonne-Espérance. Par ailleurs, un cinquième navire, commandé par Barthélemy Dias, un autre grand explorateur, accompagnera un temps la flotte de Gama en direction de Sao Jorge da Mina, port de commerce établi en 1482 par les Portugais sur la côte de l’actuel Ghana. (Note de l’éditeur)

A l’aube du jour, nous étions près de la Haute-Terre où nous nous mîmes à pêcher pendant environ deux heures, & le même soir, la nuit tombante, par le travers du rio do Ouro (aujourd’hui, le Sahara occidental – N. de l’éd.). Or, le brouillard fut si épais pendant la nuit que Paul da Gama, d’un côté, & le commandant en chef, de l’autre, s’écartèrent du reste de la flotte. Lorsque le jour parut, ne l’apercevant plus, ni les autres navires, nous fîmes voile pour les îles du Cap Vert, car nous avions reçu l’ordre, dans le cas où nous nous perdrions, de prendre cette direction. Le dimanche suivant, à l’aube du jour, nous eûmes en vue l’île du Sel, &, à une heure de là, nous aperçûmes trois navires que nous allâmes reconnaître. Nous trouvâmes le bâtiment des approvisionnements, ainsi que Nicolas Coelho, & Barthélemy Dias qui nous accompagnait jusqu’à Mina ; ils avaient également perdu le commandant en chef. Après que nous les eûmes ralliés nous poursuivîmes notre route, & le vent nous ayant manqué, nous fûmes pris par le calme jusqu’au mercredi matin.

Et, sur les dix heures, nous eûmes connaissance du commandant en chef qui avait sur nous une avance d’environ cinq lieues, & sur le soir nous pûmes communiquer avec lui, ce qui nous remplit de joie, en sorte que nous tirâmes force bombardes & sonnâmes des trompettes en réjouissance de notre réunion.

Un mercredi, 1er novembre, jour de la Toussaint, nous remarquâmes de nombreux indices de la proximité de la terre, consistant en certaines espèces d’algues qui naissent le long des côtes. Le quatrième jour du même mois, un samedi, deux heures avant le jour, nous trouvâmes fond par cent dix brasses au plus, & à neuf heures nous eûmes en vue la terre ; alors nous nous réunîmes tous & saluâmes le commandant en chef, déployant banderoles & pavillons, & tirant force bombardes ; tout le monde était en habits de gala. Ce même jour nous virâmes tout près de la côte & courûmes au large sans avoir reconnu la terre. Le mardi, nous gouvernâmes dans la direction de la terre & découvrîmes une côte basse où s’ouvrait une baie spacieuse. Le commandant en chef envoya dans une embarcation Pedro d’Alemquer pour sonder & pour chercher un bon mouillage ; il trouva cette baie dans d’excellentes conditions, sans bas-fonds & à l’abri de tous les vents, hormis de ceux du nord-ouest, & s’étendant de l’est à l’ouest; on lui donna le nom de Sainte-Hélène.

Le mercredi, nous jetâmes l’ancre dans ladite baie où nous demeurâmes huit jours, occupés à nettoyer les navires, à raccommoder les voiles & faire du bois.

A quatre lieues de ce mouillage, vers le sud-est, coule un fleuve qui vient de l’intérieur des terres ; sa largeur, à l’embouchure, est d’un jet de pierre, & sa profondeur, de deux à trois brasses, même à marée basse. On l’appelle le rio de Santiago.

En ce pays, il y a des hommes basanés qui ne vivent que de loups marins (1), de baleines, de chair de gazelle & de racines de végétaux. Ils se vêtent de peaux & portent une manière de gaine à leurs parties naturelles. Leurs armes sont des bâtons d’olivier sauvage auxquels ils ajustent des cornes passées au feu ; ils ont beaucoup de chiens, qui sont comme ceux du Portugal, & qui aboient de la même façon.

Les oiseaux sont également pareils à ceux du Portugal ; il y a des corbeaux marins, des mouettes, des tourterelles, des alouettes & nombre d’autres espèces. Le pays est très sain, très tempéré, & produit de bons pâturages.

Le lendemain du jour où nous mouillâmes, c’est-à-dire le jeudi, nous descendîmes à terre avec le commandant en chef, & nous nous emparâmes d’un de ces hommes qui était de petite stature & ressemblait à Sancho Mixia, il s’en allait recueillant du miel à travers Ies halliers, car les abeilles, en ce pays, le déposent au pied des buissons. Nous l’emmenâmes sur la nef du commandant en chef qui le fit asseoir à sa table où il mangea des mêmes choses que nous. Le jour suivant, le commandant le fit habiller très convenablement & le renvoya à terre. Et le lendemain, quatorze à quinze de ces gens-là vinrent à l’endroit où étaient mouillés les navires : alors le commandant en chef s’en fut à terre & leur montra diverses marchandises pour savoir si le pays en produirait quelques unes de semblables ;

(1) C’est-à-dire des phoques.

ces marchandises consistaient en cannelle, clous de girofle, semence de perles, or & encore autre chose ; mais ils ne comprirent rien à ces objets de commerce, comme gens qui jamais n’avaient vu chose pareille ; c’est pourquoi le commandant leur donna des grelots & des anneaux d’étain. Ceci se passait le vendredi. Il en fut de même le samedi suivant. Le dimanche, il en vint de quarante à cinquante environ, &, après diner, étant descendus à terre, nous leur échangeâmes contre des ceitils (1) dont nous nous étions munis, certaines coquilles qu’ils portaient aux oreilles & qui paraissaient argentées, ainsi que des queues de renards fixées un bâton dont ils se servaient pour s’éventer. J’achetai là, pour un ceitil, une de ces gaines que l’un d’eux portait à ses parties naturelles. Nous jugeâmes qu’ils estimaient le cuivre, car ils avaient de petites chaines de ce métal aux oreilles.

Ce même jour, un certain Fernand Velloso, de l’équipage du commandant en chef, eut grand désir d’aller avec eux à leurs cases pour savoir comment ils vivaient, ce qu’ils mangeaient, & quelle était leur existence. Il demanda donc comme une faveur au commandant de lui permettre de les accompagner à leur village, & celui-ci, voyant que cette importunité ne cesserait pas qu’il n’eût obtenu sa demande, Ie laissa partir avec eux. Quant à nous, nous retournâmes souper sur la nef du commandant tandis qu’il s’en allait en compagnie des susdits nègres.

(1) Le ceitil était une petite monnaie de cuivre, analogue à des centimes & valant 1/6 de real.

Aussitôt après nous avoir quittés, ils prirent un loup marin, & s’arrêtant au pied d’une montagne, dans un hallier, le firent rôtir & en donnèrent à Fernand Velloso qui les accompagnait, ainsi que des racines de plantes dont ils se nourrissent. Le repas terminé, ils lui dirent de s’en retourner aux navires, ne voulant pas qu’il poursuivit avec eux. Or, quand le susdit Fernand Velloso fut arrivé en face des navires, il se mit aussitôt à appeler ; pour eux, ils étalent demeurés cachés dans le fourré, & nous, nous étions encore à souper. Dès que l’on eut entendu sa voix , les capitaines ainsi que nous autres cessant à l’instant de manger, nous nous jetâmes dans une barque à voiles ; mais les nègres se mirent à courir le long de la plage & arrivèrent sur Fernand Velloso aussi prestement que nous. Comme nous cherchions à le recueillir, ils commencèrent à nous attaquer avec les zagaies dont ils étaient armés, si bien que le commandant en chef & trois ou quatre des nôtres furent blessés. Ceci nous arriva pour nous être fiés eux, les jugeant hommes de peu de courage, incapables d’oser ce qu’ils venaient d’entreprendre contre nous, tellement nous étions allés sans armes. En attendant nous ralliâmes les navires.

Le vendredi, dans la matinée, nous découvrîmes une terre correspondant aux îlots que l’on appelle Îles du Chaos qui gisent à cinq lieues plus loin que l’ilot da Cruz. De la baie de San-Bras audit îlot da Cruz, il y a soixante lieues, & tout autant du cap de Bonne-Espérance à la baie San-Bras. Des îlots Chaos à la dernière colonne posée par Barthélemy Dias, il y a cinq autres lieues, & de la colonne au Rio do Infante, quinze lieues. Le samedi qui suivit, nous passâmes en vue de la dernière colonne, & comme nous naviguions longeant la côte, deux hommes mirent à courir le long de la plage en sens inverse de la direction que nous suivions. Le pays est fort plaisant & bien assis; nous y vîmes force bétail vaguant par la campagne, & plus nous avancions, plus le terrain s’améliorait & se couvrait d’arbres. (1)

(1) Les Îles du Chaos et l’îlot da Cruz correspondent respectivement au groupe des Bird Islands et à la St. Croix Island, dans la baie d’Algoa. A propos des « colonnes » ou padrão : il s’agit de piliers de pierre surmontés d’une croix ou du blason portugais utilisés par les navigateurs portugais pour marquer les emplacements qu’ils découvraient. (Note de l’éditeur)

Un jeudi, le 10 du mois de janvier, nous découvrîmes un petit fleuve & mouillâmes en ce parage, le long de la côte. Et le lendemain, étant allés à terre dans les embarcations, nous y trouvâmes nombre de nègres, hommes & femmes, d’une haute nature, & ayant un seigneur parmi eux. Et le commandant en chef fit débarquer un certain Martin Affonso qui avait été longtemps au Manicongo, accompagné d’un autre individu, & les nègres leur firent bon accueil. C’est pourquoi le commandant envoya à leur seigneur une jaquette & des chausses rouges, avec un bonnet mauresque & un bracelet. Et il dit que tout ce qu’il y avait en son pays dont nous aurions besoin, il nous le donnerait de grand cœur ; ce fut ainsi que le comprit ledit Martin Affonso. Cette nuit, lui & son compagnon s’en furent avec ce seigneur coucher en son logis, & nous, nous regagnâmes nos navires. Et pendant le trajet, il revêtit l’habillement dont on lui avait fait présent, & il disait avec grand contentement à ceux qui venaient le recevoir : « Voyez-vous ce qu’ils m’ont donné! » & ceux-ci battaient des mains par politesse, ce qu’ils répétèrent trois ou quatre fois jusqu’à son arrivée au village ; là, il courut tout le pays dans le costume où il était, & finalement, étant entré chez lui, il envoya loger les deux hommes qui l’avaient accompagné en un enclos où il leur fit porter de la bouillie faite avec du millet très abondant en cette contrée, & une poule comme celles de Portugal. Et durant toute cette nuit, nombre d’hommes & de femmes vinrent pour les voir.

Le lendemain matin, le seigneur les fut visiter & leur dit de s’en retourner ; puis il fit partir deux autres hommes avec eux, & leur donna des poules pour le commandant en chef, en leur disant qu’il s’en allait montrer ce dont on l’avait gratifié à un grand seigneur qu’ils ont pour chef ; or, d’après ce que nous conjecturâmes, ce devait être le roi du pays. Et lorsqu’ils arrivèrent au port où étaient les embarcations, il y avait bien deux cents personnes qui les accompagnaient pour les voir.

Autant que nous pûmes en juger, ce pays est fort peuplé, & il s’y trouve nombre de seigneurs. Il nous sembla que les femmes étaient en plus grand nombre que les hommes, car, là où venaient vingt hommes, arrivaient quarante femmes. Les maisons sont en paille, & les armes des habitants consistent en très grands arcs, ainsi que flèches & zagaies en fer. La contrée, à ce qu’il nous parut, fournit beaucoup de cuivre ; ils en ornent leurs jambes, leurs bras & les tresses de leurs cheveux ; il y a aussi de l’étain qu’ils portent en garniture à leurs poignards dont les gaines sont d’ivoire. Les gens de ce pays font grande estime de la toile de lin , car ils nous offraient quantité de ce cuivre pour des chemises, en cas que nous eussions voulu leur en vendre. Ils ont de grandes calebasses dont ils se servent pour puiser de l’eau de mer qu’ils portent à l’intérieur & versent en des puits creusés dans le sol afin d’en fabriquer du sel.

Nous demeurâmes là cinq jours, occupés à faire notre provision d’eau qui était transportée sur les embarcations par ceux dont nous recevions la visite. Nous n’en prîmes pas autant que nous l’aurions voulu parce que le vent favorisait notre voyage ; puis, nous étions à l’ancre le long de la côte, exposés à la houle du large. Nous donnâmes à cette contrée le nom de terra da Boa Gente (Terre des Bonnes Gens), &, au fleuve, celui de rio do Cobre (Rivière du cuivre).

Un jeudi, premier jour de mars, sur le soir, nous eûmes connaissance des îles & de la terre dont il sera question plus loin ; mais, à cause de l’heure avancée, nous reprîmes le large & mîmes en panne jusqu’au matin, & alors nous arrivâmes au pays dont on va parler.

Le vendredi, dans la matinée, Nicolas Coelho voulant pénétrer dans cette baie manqua le chenal & toucha ; &, en virant de bord pour rallier les autres navires qui venaient par derrière, il vit des barques à voile sortir du village de cette île, ce dont il informa le commandant en chef & son frère avec de vives démonstrations de joie. Nous continuâmes donc à courir ce même bord au large afin de pouvoir arriver au mouillage, &, plus nous avancions, plus ils nous suivaient en nous invitant par signes à les attendre. Or, comme nous jetions l’ancre dans la rade de cette même île d’où s’était détachée la barque, vinrent à nous sept ou huit de ces barques & almadies, & ceux qui les montaient s’avançaient au son des anafils (1) dont ils étaient munis, & ils nous engageaient à pénétrer dans l’intérieur, offrant de nous conduire au port si nous le désirions; puis ils montèrent à bord des navires, mangèrent & burent de ce que nous mangions & buvions, & s’en allèrent lorsqu’ils en eurent assez. Les capitaines furent d’avis d’entrer dans cette baie poursavoir quelle sorte de gens étaient ceux-ci : Nicolas Coelho dut aller en avant avec son navire pour sonder la passe, &, si l’entrée était praticable, on décida que nous entrerions.

(1) Sorte de clairon

Or, Nicolas Coelho s’apprêtant à entrer vint à donner contre la pointe de l’île & brisa son gouvernail ; mais, aussitôt qu’il eut touché il gagna le large, & j’étais là moi-même avec lui. Dès que nous fûmes en pleine mer, nous amenâmes nos voiles & laissâmes tomber l’ancre à deux portées d’arbalète du village.

Les habitants de ce pays sont cuivrés, bien bâtis, & de la secte de Mahomet : ils parlent le langage des Maures & s’habillent d’étoffes de lin & de coton très fines, rayées de diverses couleurs, riches & bien ouvragées. Tous portent des turbans avec des liserés de soie brodés de fil d’or ; ils sont marchands, & trafiquent avec les Maures blancs qui avaient justement, en ce même parage, quatre navires chargés d’or, d’argent, de clous de girofle, de poivre, d’anneaux d’argent & de quantité de perles, de semences de perles & de rubis, toutes choses que portent sur eux les gens de ce pays. Nous crûmes comprendre, d’après ce qu’ils nous dirent, que la totalité de ces marchandises était importée, & que c’étaient les Maures qui les apportaient, hormis l’or; que plus avant, là où nous allions, il y en avait foison; & qu’enfin les pierres fines, la semence de perles & les épices s’y trouvaient en telle abondance qu’on n’avait nul besoin de les acheter, mais qu’on les ramassait à pleins paniers. Le tout était ainsi compris par un matelot que le commandant en chef avait amené avec lui, & qui, ayant été jadis captif des Maures, entendait ceux que nous avions rencontrés ici.

De plus, ces mêmes Maures nous apprirent que sur la route qui nous restait à faire nous trouverions nombre de bas-fonds ; que nous verrions aussi nombre de villes le long de la côte, & que nous rencontrerions une île où la moitié des habitants étalent des Maures & l’autre moitié des chrétiens ; que les chrétiens étaient en guerre avec les Maures, & que l’île renfermait de grandes richesses.

Ils nous dirent encore que le prêtre Jean ne demeurait pas loin d’ici ; qu’il possédait maintes villes sur la côte, & que les habitants de ces villes étalent de puissants marchands qui équipaient de grands navires ; que le prêtre Jean se trouvait fort avant dans l’intérieur, & que nous ne pourrions nous y rendre qu’à dos de chameau. Les Maures avaient amené ici deux chrétiens de l’Inde captifs; ces récits qu’ils faisaient, ainsi que beaucoup d’autres, nous rendaient si joyeux que nous en pleurions d’aise & demandions à Dieu de vouloir bien nous accorder la santé pour voir ce que nous désirions tant contempler.

A l’aube du jour, nous vîmes deux barques sous le vent des navires, trois lieues environ au large, & aussitôt nous nous dirigeâmes sur elles pour tâcher de nous en emparer, car nous désirions nous procurer des pilotes qui fussent en état de nous conduire où nous voulions aller. Et, à l’heure de vêpres, nous joignîmes l’une des susdites barques que nous capturâmes ; l’autre nous échappa en gagnant la terre. Or, dans celle que nous prîmes, nous trouvâmes dix-sept hommes, de l’or, de l’argent, beaucoup de mil & de provisions, enfin une jeune femme, épouse d’un vieux Maure, homme considérable & qui se trouvait là. Au moment où nous les abordâmes ils se jetèrent tous à la mer, & nous nous mîmes à les recueillir dans les embarcations.

Le même jour, au coucher du soleil, nous jetâmes l’ancre en face d’un lieu qui s’appelle Mélinde & qui git à trente lieues de Mombaza. De Mombaza à ce bourg de Mélinde on rencontre, dans l’ordre suivant, d’abord Benapa, puis Toça & Nuguo-Quioniete.

Le jour de Pâques, les Maures que nous avions capturés nous dirent qu’il y avait, dans ladite bourgade de Mélinde, quatre navires appartenant à des chrétiens qui étaient indiens ; que si nous voulions les y conduire, ils nous donneraient en leur place des pilotes chrétiens & tout ce dont nous aurions besoin, comme de la viande, de l’eau, du bois & encore d’autres choses.

Or, le commandant en chef qui désirait vivement obtenir des pilotes de l’endroit ayant traité cette affaire avec les Maures, nous allâmes mouiller près du bourg à une demi-lieue de terre ; mais les habitants n’osèrent point venir à bord parce qu’ils étaient déjà prévenus, & qu’ils n’ignoraient pas que nous avions capturé une barque avec les Maures qui la montaient.

Le lundi, dans la matinée, le commandant en chef fit déposer le vieux Maure sur un récif, en face de la ville, & il vint là une almadie pour le chercher. Ce Maure s’en alla communiquer au roi les désirs du commandant, & lui dire combien il serait satisfait de faire la paix avec lui. Or, après déjeuner, le Maure revint sur une zavra que le roi de cette bourgade expédiait avec un de ses cavaliers & un shérif ; il envoyait trois moutons, & faisait dire au commandant qu’il se réjouirait d’être en paix & entretenir de bons rapports avec lui ; que s’il souhaitait quelque chose de son pays, il le lui donnerait très volontiers, comme des pilotes ou toute autre chose. Et Ie commandant en chef lui fit réponse qu’il entrerait le lendemain dans le port ; en même temps il lui envoya par les porteurs du message un balandran, deux filières de corail, trois bassins d’airain, un chapeau, des grelots & deux pièces de drap rayé.

Or donc, le mardi, nous nous approchâmes encore plus près de la ville, & le roi envoya au commandant six moutons, avec une bonne quantité de clous de girofle, cumin, gingembre, noix muscades & poivre, lui faisant dire que le mercredi, s’il lui plaisait qu’ils se rencontrassent en mer, il irait sur sa zavra, & qu’il vint, lui, dans son embarcation.

Le mercredi, après dîner, le roi vint sur une zavra & s’approcha des navires ; pour lors, le commandant s’embarqua dans son canot qui était parfaitement équipé, &, quand il eut rejoint le roi, à l’instant celui-ci se mit près de lui. Là s’échangèrent nombre de propos, entre autres les suivants : la roi ayant dit au commandant qu’il le priait de venir avec lui se délasser en son palais, & qu’il se rendrait à son tour à bord de ses navires, le commandant lui répondit qu’il n’avait pas congé de son seigneur pour descendre à terre, & qu’en y descendant il donnerait mauvaise opinion de lui à qui l’avait envoyé. Et le roi demanda quelle opinion de sa personne il donnerait lui-même à son peuple, & ce que l’on dirait, s’il se rendait sur ses vaisseaux? Il s’informa ensuite du nom que portait notre roi & se le fit écrire, ajoutant que si nous repassions par ici, il enverrait un ambassadeur ou écrirait. Après avoir ainsi causé l’un & l’autre de ce qu’ils voulurent, Ie commandant fit amener tous les prisonniers maures que nous avions & les lui donna, ce dont il se montra très satisfait, disant que ceci lui était plus agréable que si on lui eût fait présent d’une ville.

Et le roi, pour se divertir, s’en alla faire le tour des navires qui déchargèrent force bombardes en son honneur, & il s’amusait fort à voir tirer. Trois heures environ se passèrent de la sorte, &, quand il partit, il laissa sur le vaisseau un de ses fils & un de ses sherifs pendant que deux des nôtres l’accompagnaient à son logis ; ce fut lui-même qui les demanda, voulant qu’ils vinssent voir son palais. Il dit encore au commandant que puisqu’il ne se souciait pas de descendre à terre, il allât le lendemain se promener le long du rivage, & qu’il y enverrait chevaucher ses cavaliers.

Voici quel était l’équipage du roi : premièrement, une robe de damas doublée de satin vert, &, sur la tête, un turban très riche ; puis, deux sièges de bronze avec leurs coussins & un dais de satin cramoisi, de forme ronde, fixé à un bâton. Son page était un homme âgé qui portait un coutelas dont la gaine était d’argent : ajoutez plusieurs anafils & deux trompettes d’ivoire, de la hauteur d’un homme, parfaitement ouvragées, dont on jouait par un trou percé en leur milieu ; le son de ces trompettes s’accorde avec celui des anafils.

Le jeudi, le commandant en chef & Nicolas Coelho montèrent sur les embarcations avec bombardes en poupe & s’en furent le long de la bourgade. On voyait à terre beaucoup de monde &, dans la foule, deux hommes à cheval joutant & se divertissant infiniment, à en juger du moins par leurs démonstrations. Et là, ils prirent le roi sur les degrés de pierre de son palais & le portèrent en palanquin jusqu’à l’embarcation où se tenait le commandant.

Alors, le roi le pria de rechef de descendre à terre, disant que son père qui était perclus serait joyeux de le voir, & que lui & ses fils iraient demeurer sur ses vaisseaux, ce dont le commandant s’excusa.

Nous trouvâmes ici quatre navires de chrétiens de l’Inde ; & lorsque ces chrétiens vinrent pour la première fois sur la nef de Paul da Gama où se trouvait le commandant en chef, on leur fit voir un tableau représentant Notre-Dame avec Jésus-Christ dans les bras, au pied de la croix, & avec les apôtres. Et les Indiens à la vue de cette peinture se prosternèrent sur le sol, & durant tout notre séjour ils vinrent là faire leurs oraisons, apportant des clous de girofle, du poivre, ainsi que d’autres offrandes.

Ces Indiens sont des hommes bruns, légèrement vêtus; ils portent de grandes barbes & des cheveux très longs qui sont nattés ; ils ne mangent point de chair de boeuf, d’après ce qu’ils nous dirent, & leur langage diffère beaucoup de celui des Maures ; toutefois il y en a qui savent quelque peu d’arabe par suite des rapports continus qu’ils entretiennent avec les gens de cette nation.

Le jour où le commandant en chef fut promener en bateau près de la ville, on déchargea force bombardes à bord des navires des Indiens chrétiens; &, le voyant passer, ils élevaient les mains, s’écriant tous avec une vive allégresse : Christ! Christ! En cette occurrence, ils demandèrent l’agrément du roi pour nous fêter durant la nuit ; &, en effet, la nuit venue, ils firent grande réjouissance, tirant force artillerie, lançant des artifices & poussant de grands cris.

Bien plus, ces Indiens avertirent le commandant en chef de ne point aller à terre & de ne pas se fier aux caresses des Maures, parce qu’elles n’étaient guère l’expression de leurs sentiments ni de leur volonté.

Le dimanche qui suivit, vingt-deuxième jour du mois d’avril, la zavra du roi vint nous accoster, portant un de ses favoris ; & comme deux jours s’étaient écoulés déjà sans que personne vint aux navires, le commandant mit la main sur lui & fit demander au roi les pilotes qu’il lui avait promis. Dès qu’il eut reçu ce message, le roi lui envoya un pilote chrétien, & Ie commandant relâcha incontinent le gentilhomme qu’il retenait à bord. Et nous nous réjouîmes fort d’avoir le pilote chrétien que le roi nous avait donné.

Nous apprîmes ici cette île qu’on nous représentait à Mozambique comme peuplée de chrétiens, est une île où réside le roi même de Mozambique, & dont la moitié appartient aux Maures & l’autre moitié aux chrétiens. Elle produit abondamment la semence de perles, & et son nom est Quiloa (aujourd’hui Kilwa Kisiwani, en Tanzanie) ; les pilotes maures avaient voulu nous y conduire, nous avions eu nous-mêmes Ie désir d’y aller, car nous les avions crus sur parole.

Le bourg de Mélinde est assis au fond d’une baie & bâti le long de la plage ; il ressemble à Alcochete ; les maisons sont élevées, parfaitement blanchies à la chaux & percées de fenêtres. Du côté de la campagne, elles sont bordées d’un bois de palmiers très hauts qui touche aux habitations. Tout le pays aux alentours est cultivé en mil & autres légumes.

Nous demeurâmes neuf jours devant cette bourgade, &, durant ces neuf jours, il y eut constamment à terre des réjouissances & des joutes à pied, le tout avec force musique.

Le mardi, 24 dudit mois, nous partîmes de là, avec le pilote que le roi nous avait donné, pour gagner une cité du nom de Calicut dont ledit roi avait connaissance, & nous fûmes la chercher dans l’est. Ici la côte court du nord au sud, la terre formant un vaste golfe & un détroit ; & au bord de ce golfe, d’après les renseignements dont nous étions munis, se trouvent plusieurs villes de chrétiens & de Maures, une entre autres du nom de Cambaye , & six cents îles connues. C’est là qu’est la mer Rouge & le temple de la Mecque.

Le dimanche suivant, nous vîmes l’étoile du nord que nous avions cessé d’apercevoir depuis longtemps, & un vendredi, dix-septième jour du mois, nous découvrîmes une haute terre. Il y avait vingt-trois jours que nous n’avions aperçu la terre, ayant toujours marché, durant cet intervalle, avec le vent en poupe; en force que pendant cette traversée nous avions dû faire pour le moins six cents lieues (1).

Le dimanche suivant, nous étions tout près des montagnes qui dominent la cité de Calicut, & nous en approchâmes assez pour que notre pilote les reconnût & nous dit que cette contrée était bien celle où nous désirions arriver. Et le même jour, sur le soir, nous fûmes mouiller deux lieues en dessous de Calicut (2), parce que le pilote prit pour cette ville une bourgade du nom de Capua qui existait en cet endroit ; & plus bas que cette bourgade s’en trouve une autre appelée Pandarany.

Nous jetâmes donc l’ancre le long de la côte, à une lieue & demie de terre environ. Et lorsque nous eûmes mouillé de la sorte, quatre barques se détachèrent du rivage & vinrent reconnaitre qui nous étions; on nous apprit alors & on nous montra où était Calicut.

(1) Soit 2400 kilomètres, mesure assez exacte de la distance entre la corne d’Afrique, au Nord de la Somalie, et les environs de Khozikode, le nom actuel de Calicut, lesquelles sont distantes de 2700 kilomètres.
(2) Sous le vent, c’est-à-dire au Nord

Le jour suivant, les mêmes barques revinrent aux navires, & le commandant envoya un des déportés à Calicut. Ceux avec qui il y alla le menèrent chez deux Maures de Tunis qui savaient parler le castillan ainsi que le génois, & le premier salut qu’il en reçut fut le suivant: — Que le diable t’emporte ! qui t’a amené ici ? — Puis ils lui demandèrent ce que nous étions venus chercher si loin, & il leur répondit : — Nous venons chercher des chrétiens & des épices. — Pourquoi, lui dirent-ils, le roi de Castille, le roi de France & la seigneurie de Venise n’y envoient-ils pas aussi ?— Et il leur répondit que le roi de Portugal ne permettrait pas qu’ils y envoyassent (1); à quoi ils repartirent qu’il avait raison.

Ensuite ils lui firent accueil & lui donnèrent à manger du pain de froment avec du miel ; & lorsqu’il eut mangé, il revint aux navires. Et l’un de ces Maures l’ayant accompagné, se prit à dire dès qu’il fut à bord : — Buena ventura ! Buena ventura ! (2) Force rubis, force émeraudes ; vous devez rendre de grandes actions de grâces à Dieu pour vous avoir conduit en un pays où il y a tant de richesses. Nous fûmes si grandement ébahis que nous l’écoutions parler sans y croire, ne pouvant nous persuader qu’il y eût à pareille distance du Portugal quelqu’un qui entendit notre langue.

(1) En vertu du traité de Tordesillas (1493), qui garantit au Portugal la souveraineté sur les terres découvertes à l’est d’un méridien passant à 100 lieues des îles du Cap-Vert, tandis que les terres situées à l’ouest de cette ligne reviennent à la Castille.
(2) « Bonne fortune ! Bonne fortune ! » en espagnol.

La cité de Calicut est habitée par des chrétiens qui sont gens basanés; quelques-uns portent de grandes barbes & des cheveux longs ; d’autres ont la tête rasée ou tondue ; ils conservent au sommet une sorte de toupet pour indiquer qu’ils sont chrétiens. Ils portent aussi des moustaches, se percent les oreilles & y mettent beaucoup d’or. Ils vont nus jusqu’à la ceinture & se couvrent le bas du corps de pagnes de coton très fines ; ceux qui s’habillent ainsi sont les plus qualifiés ; les autres se vêtent comme ils peuvent. Les femmes du pays sont laides, en général, & de petite stature ; elles portent au cou maints bijoux d’or, aux bras quantité de bracelets , & aux doigts des pieds des anneaux enrichis de diamants. Toute cette population est d’un bon naturel et sensible, du moins elle le paraît ; ce sont des gens qui semblent ignorants, à première vue, d’ailleurs extrêmement avides.

Lorsque nous eûmes débarqué, le commandant prit sa litière, & nous poursuivîmes notre chemin au milieu d’une telle foule accourue pour nous voir qu’on n’aurait pu la dénombrer : les femmes, elles-mêmes, sortaient de leurs maisons avec leurs enfants sur le bras, & s’en venaient à notre suite. Arrivés là, ils nous conduisirent à une grande église où l’on remarquait ce qui suit :
Premièrement, le corps de l’église est de la grandeur d’un monastère ; elle est entièrement construite en pierres de taille & recouverte en tuiles ; &, à la porte principale, il y a une colonne de bronze aussi haute qu’un mât &, au sommet de cette colonne, un oiseau qui semble être un coq ; puis une autre colonne de la hauteur d’un homme & fort grosse. Au milieu du vaisseau de l’église on voyait un dôme tout en pierres de taille ; & il y avait une porte pour laisser passer un homme, ainsi que des degrés en pierre pour monter à cette porte qui était de bronze ; dans l’intérieur se trouvait une petite image qu’ils disaient être de Notre-Dame, & devant la porte principale de l’église, le long du mur, étaient suspendues sept petites cloches. Là, Ie commandant en chef fit ses oraisons, ainsi que nous autres ; mais nous ne pénétrâmes point dans l’intérieur de cette chapelle parce que leur règle est qu’on n’y entre pas, hormis certains individus qui sont au service des églises & qu’ils nomment quasees. Ces quasees portent une manière de corde jetée sur l’épaule (c’est l’épaule gauche) & passant sous le bras droit, comme les diacres portent l’étole.

Ceux-ci nous aspergèrent d’eau bénite & nous donnèrent une terre blanche que les chrétiens de ce pays ont accoutumé de porter à la tête, à la poitrine, derrière le cou & aux avant-bras. Toutes ces cérémonies, ils les firent au commandant, & lui présentèrent de cette terre pour qu’il s’en servit ; & il la prit & la donna à garder, laissant entendre qu’il en ferait usage plus tard. Sur les murailles de l’église on voyait maintes autres peintures représentant des saints qui portaient des diadèmes, & ces images étaient de diverses façons, car quelques-unes avaient des dents si grandes qu’elles sortaient d’un pouce de la bouche ; & chaque saint avait quatre ou cinq bras. Au bas de cette église était un grand bassin construit en pierres de taille, comme plusieurs autres que nous avions remarqués le long du chemin.

Nous quittâmes ce lieu, &, à l’entrée de la cité, on nous mena à une autre église où se voyaient les mêmes choses que celles qui ont été relatées plus haut. Ici, s’accrut tellement la foule accourue pour nous voir, que le chemin ne pouvait plus la contenir ; aussi, lorsque nous fûmes assez avant dans la rue, on déposa le commandant dans une maison & on nous y fit entrer avec lui, à cause de l’affluence qui était devenue considérable. Le roi envoya un seigneur du pays ; il venait pour accompagner le commandant & menait avec lui bon nombre de tambours, de clairons, d’anafils, ainsi qu’une espingole que l’on déchargeait devant nous.

Ce fut ainsi qu’ils conduisirent le commandant, avec de grandes démonstrations de respect, c’est-à-dire autant & même plus qu’on n’en ferait en Espagne pour un roi. La foule était si grande qu’on n’aurait pu la dénombrer ; les toits & les maisons débordaient de curieux, outre ceux qui nous environnaient, parmi lequels il y avait bien deux mille hommes armés. Et plus nous avancions vers le palais où était le roi, plus l’affluence croissait. En approchant de la résidence royale, des personnages du plus haut parage & des grands seigneurs vinrent à la rencontre du commandant, sans compter bon nombre d’autres qui déjà cheminaient avec lui : il pouvait être une heure avant le coucher du soleil. Et lorsque nous fûmes arrivés, nous entrâmes par une porte dans une cour spacieuse avant de parvenir à celle du roi, nous en franchîmes quatre autres, nous faisant jour par force & distribuant force horions autour de nous. Parvenus à la dernière porte qui donnait chez le roi, nous en vîmes sortir un vieillard de petite taille qui est une espèce d’évêque, le roi se dirigeant d’après lui en ce qui concerne les choses de l’Eglise ; il embrassa le commandant sur le seuil de cette porte, &, en entrant, il y eut des gens blessés & nous n’y pénétrâmes qu’avec de vigoureux efforts.

Le roi était dans une petite cour, couché sur un lit de repos disposé de la sorte : en bas, un drap de velours vert ; par-dessus, un fort bon matelas &, sur le matelas, un linge de coton parfaitement blanc & plus fin qu’aucune toile de lin ; enfin le lit était garni d’oreillers du même genre. De la main gauche, il tenait une énorme coupe d’or, aussi haute qu’un pot d’une demi-almude (1) large de deux palmes à l’ouverture & fort épaisse en apparence ; il rejetait dans ce vase le marc de certaines herbes que les gens du pays mâchent à cause de la chaleur & qu’ils nomment atambor (2); à droite, il y avait un bassin d’or qu’un homme eût à peine mesuré de ses deux bras & qui contenait ces herbes, puis plusieurs aiguières d’argent ; enfin, le ciel du lit était tout doré. Or, quand le commandant entra, il fit sa révérence selon la coutume du pays qui consiste à joindre les mains & à les élever vers le ciel, comme les chrétiens le font ordinairement en s’adressant à Dieu ; puis, après les avoir élevées, ils les ouvrent & les ferment vivement. Alors le roi, de la main droite, fit signe au commandant de venir au bas de l’estrade qu’il occupait ; mais le commandant n’approchait point parce que l’usage du pays ne permet à personne d’approcher du roi, hormis un de ses favoris qui lui présentait ces herbes ; & si quelqu’un lui parle, c’est en mettant la main devant la bouche & en se tenant à distance.

(1) L’almude est une mesure de capacité qui correspond à seize litres et demi environ.
(2) Dérivant d’une mauvaise prononciation du mot arabe tambul, ce terme désigne le bétel. Bétel est le nom malabar de la plante et le temps l’a vulgarisé parmi nous.

Tout en faisant signe au commandant, il jeta les yeux sur nous, & ordonna que l’on nous fit asseoir sur un banc, près de lui, en un endroit où il pouvait nous voir, & qu’on nous donnât de l’eau pour les mains ; puis il fit apporter une sorte de fruit qui est fait comme un melon, sauf qu’à l’extérieur il est rugueux, mais à l’intérieur il est doux ; il en fit apporter aussi un autre semblable à la figue & d’un goût excellent. Nous avions là des hommes occupés à nous les préparer, tandis que le roi observait comment nous mangions, nous souriait, & causait avec son favori qui se tenait à son côté pour lui donner à mâcher les herbes dont on a parlé. Après cela, jetant les yeux sur le commandant assis en face de lui, il lui dit de s’adresser aux personnes qui se trouvaient là, qu’elles étaient de haute condition, & qu’il pouvait leur dire ce qu’il souhaitait ; qu’ensuite elles le lui transmettraient. Le commandant en chef répondit qu’il était ambassadeur du roi de Portugal & porteur d’un message qu’il ne devait remettre qu’à lui-même. Le roi dit que c’était fort bien, puis le fit mener à l’instant en une chambre, &, lorsqu’il y fut, se leva de sa place & alla le trouver. Pour nous, nous demeurâmes au même endroit ; ceci se passait vers le coucher du soleil. Et quand le roi se leva, un vieillard qui était dans la cour vint aussitôt enlever le lit, mais la vaisselle resta. Le roi étant allé où se trouvait le commandant se jeta sur un autre lit de repos garni d’étoffes brodées d’or, puis il lui demanda ce qu’il voulait.

Le commandant répondit qu’il était ambassadeur d’un roi de Portugal, seigneur d’un grand royaume, riche en toute espèce de choses, bien plus qu’aucun monarque de ces contrées ; que depuis soixante ans les rois ses prédécesseurs avaient envoyé chaque année des navires à la découverte en ces quartiers, sachant qu’il s’y trouvait rois chrétiens comme eux; que cette raison les avait engagés à faire rechercher ce pays, & nullement le besoin d’or ou d’argent, car ils en possédaient en si grande quantité qu’ils n’avaient que faire d’en tirer de cette contrée ; que les capitaines desdits navires naviguaient l’espace d’un an ou deux, jusqu’à ce que les vivres leur manquassent & que, sans rien avoir trouvé, ils étaient revenus en Portugal. Qu’actuellement, un roi du nom de Dom Manuel lui avait fait construire ces trois navires dont il lui avait donné le commandement en chef, & lui avait enjoint de ne point revenir en Portugal qu’il n’eût trouvé ce roi des chrétiens, sinon qu’il lui ferait couper la tête ; que dans le cas où il le découvrirait il lui remît deux lettres, dont il ferait remise le lendemain ; qu’enfin il mandait par sa bouche qu’il était son frère & son ami. Le roi, répondant à ce discours, dit au commandant qu’il était le bienvenu ; qu’à son tour il tenait le roi de Portugal pour son frère & ami, & qu’il lui enverrait des ambassadeurs par son entremise, ce que le commandant lui demanda comme une faveur, attendu qu’il n’oserait paraitre devant le roi son maître sans ramener quelques-uns de ses sujets.

Ces propos & bien d’autres s’échangèrent entre tous deux dans la susdite chambre, & la nuit s’avançant, le roi s’informa du commandant s’il souhaitait loger chez des chrétiens ou chez des Maures ; & le commandant repartit qu’il ne voulait loger ni chez des chrétiens, ni chez des Maures ; mais qu’il lui fît la grâce de lui donner un logement à part où il n’y eût personne. Le roi dit qu’il en ordonnerait ainsi ; sur quoi le commandant prit congé, & vint nous retrouver dans l’endroit où l’on nous avait mis, sous une véranda qui était éclairée par un grand chandelier de bronze ; il pouvait être déjà quatre heures de nuit. Pour lors, nous prîmes tous avec le commandant le chemin de notre logis, escortés par une foule innombrable ; la pluie tombait si fort que l’eau ruisselait dans les rues, & le commandant était porté par six hommes.

(N. de l’éd. – La troupe rejoint Pandarane, le port de mouillage où le roi de Calicut a fait stationner la flotte portugaise. Mais sur place, les bateaux sont restés au large, Paul de Gama est injoignable, et les responsables locaux refusent de fournir des bateaux aux Portugais pour qu’ils rejoignent les leurs.)

Toute cette journée, nous la passâmes dans l’anxiété comme on l’a vu ; quand vint la nuit, il y eut bien plus de monde encore autour de nous ; on ne nous permit plus de circuler dans l’espèce d’enclos où nous étions placés, mais on nous mit dans une petite cour pavée en briques, & on nous entoura dune quantité de gens infinie. Nous trouvant ainsi au milieu d’eux, nous nous attendions, le lendemain, à être séparés les uns des autres, ou à subir quelque autre traitement funeste tant ils nous paraissaient animés contre nous. Ce nonobstant, nous ne laissâmes pas que de fort bien souper de ce que I’on trouva dans la bourgade. Pendant la nuit, nous fûmes gardés par plus d’une centaine d’individus armés d’épées, de haches, de rondaches, d’arcs & de flèches & ils s’arrangeaient de telle façon, que les uns dormaient, quand les autres veillaient, alternant ainsi toute la nuit. Le lendemain, qui se trouvait un samedi, deuxième jour du mois de juin, les seigneurs vinrent dans la matinée &, cette fois, avec meilleur visage.

Ils dirent au commandant que puisqu’il avait manifesté au roi l’intention de mettre à terre sa marchandise, il la fit débarquer ; car, d’après la coutume du pays, les navires qui y abordent quels qu’ils fussent, mettaient aussitôt à terre leur cargaison, et même tous leurs hommes, & qu’un marchand ne pouvait revenir à son bord avant que sa marchandise ne fût entièrement vendue. Le commandant dit qu’il était d’accord, & qu’il écrirait à son frère de lui envoyer la sienne. Ils répondirent que c’était bien, & que dès que cette marchandise arriverait, ils le laisseraient regagner ses navires. Le commandant écrivit donc à son frère de lui envoyer certaines choses, ce qu’il fit aussitôt. Dès qu’ils le virent, ils le laissèrent aller aux navires & deux hommes restèrent à terre avec ces marchandises. Ce résultat nous emplit tous de joie, & nous rendîmes grâces à notre Seigneur de nous avoir tiré des mains de pareils hommes, qui ne possédaient pas plus de raison que des bêtes. Car nous savions bien qu’une fois le commandant sur ses vaisseaux, même si d’autres restaient à terre, ils ne leur feraient aucun mal ; & dès qu’il fut de retour à bord, il ne voulut pour le moment leur envoyer aucune autre marchandise.

Cinq jours plus tard le commandant fit savoir au roi qu’après qu’il lui eut dit de regagner ses navires certains de ses hommes n’avaient pas voulu le laisser faire ; qu’ils l’avaient retenu en chemin un jour & une nuit ; qu’il avait mis à terre sa marchandise, comme il le lui avait ordonné ; & que les Maures venaient là & la dépréciaient. Que le roi vît donc ce qu’il lui plaisait d’ordonner, car à lui cette marchandise importait peu. Mais il était toujours à son service avec ses navires. Le roi fit aussitôt répondre que ceux qui avaient fait cela étaient de mauvais chrétiens, & qu’il les punirait. Il envoya bientôt sept ou huit marchands examiner la marchandise afin qu’ils l’achetassent si elle était à leur gré ; en outre, il envoya sur place un homme qualifié, pour y demeurer avec le facteur (1), & ils avaient ordre de tuer tout Maure qui approcherait, sans être aucunement recherchés pour ce fait. Les marchands envoyés par le roi demeurèrent là une huitaine de jours ; mais loin d’acheter, ils dépréciaient la marchandise. Quant aux Maures, ils ne vinrent point du tout au magasin où elle était déposée, & leur inimitié s’en accrut à tel point que, si quelqu’un de nous allait à terre, ils crachaient sur le sol, dans l’intention de nous mortifier, en disant : « Portugal, Portugal » ; d’ailleurs, dès le principe, ils avaient cherché les moyens de se saisir de nous & de nous mettre tous à mort.

(1) Gérant d’une activité commerciale, en particulier celui qui est chargé de vendre en gros des marchandises aux halles.

(N. de l’éd. – Les relations continuent de se détériorer. Devant le refus de Vasco de Gama de s’acquitter de droits de douane, le roi de Calicut met la main sur la marchandise et quelques marins restés à terre. En retour, Vasco de Gama prend en otage des notables indiens venus visiter les navires. Des négociations tendues commencent.)

Le mercredi matin, comme nous étions en panne, un Maure de Tunis qui entendait notre langue vint se réfugier à bord parmi nous ; il disait qu’on l’avait dépouillé de tout ce qu’il possédait, & qu’il craignait qu’on ne lui fit pis encore ; que telle était son appréhension ; que les gens du pays l’accusaient d’être chrétien & d’être venu à Calicut comme mandataire du roi de Portugal, en sorte qu’il aimait mieux s’en aller avec nous que demeurer en un pays où, chaque jour, il s’attendait à être mis à mort. Sur les dix heures du matin, nous vîmes venir sept barques chargées de monde ; trois d’entre elles portaient, sur les bancs des rameurs, les pièces de drap rayé que nous avions laissées à terre, pour nous donner à entendre que toute la marchandise arrivait. Ces trois barques approchèrent des navires, tandis que les quatre autres demeuraient au large ; cependant, tout en approchant, elles se tinrent à bonne distance ; ceux qui les montaient nous dirent de faire descendre les prisonniers dans notre barque, qu’ils y transborderaient la marchandise & prendraient leurs hommes.

Et le commandant en chef s’étant avisé de leur tromperie, leur enjoignit de s’éloigner, en leur disant qu’il n’avait point souci de la marchandise, mais seulement d’emmener les prisonniers en Portugal ; qu’ils fissent bien attention qu’incessamment il comptait revenir à Calicut, & qu’ils sauraient alors si nous étions des larrons, comme les Maures le leur avaient dit.
Un mercredi, vingt-neuvième jour du mois d’août, considérant, qu’en somme, nous avions découvert ce que nous étions venus chercher, que nous avions trouvé des épices & des pierres précieuses, & qu’il fallait renoncer à quitter le pays en bonne intelligence avec les habitants, le commandant en chef, d’accord avec les capitaines, résolut de partir & d’emmener les prisonniers, attendu qu’à leur retour à Calicut ces hommes nous aideraient à former des relations d’amitié ; nous mîmes donc incontinent à la voîle & prîmes la route de Portugal, tous extrêmement joyeux d’avoir eu la fortune d’effectuer une aussi grande découverte que celle que nous avions faite.

Cette traversée dura si longtemps que nous y consumâmes trois mois moins trois jours à cause des calmes fréquents & des vents contraires que nous rencontrâmes. Il en résulta que tous les équipages souffrirent des gencives ; elles croissaient par-dessus les dents, au point qu’il n’était plus possible de manger ; les jambes enflaient aussi & d’autres enflures considérables se manifestaient sur le corps où elles se développaient tellement que le patient succombait sans être atteint d’aucun autre mal. Trente personnes en moururent dans cet espace de temps, sans compter un nombre égal que nous avions déjà perdu. Ceux qui travaillaient à la manœuvre étaient réduits à sept ou huit individus sur chaque vaisseau, encore n’étaient-ils pas tous valides comme ils auraient pu l’être ; aussi, je vous affirme que si cette situation se fût prolongée au delà de quinze jours, nous demeurions à la merci des flots, n’ayant plus personne à bord pour gouverner. Nous en étions arrivés au point que tout était déjà désordonné ; &, dans notre affliction, nous faisions maintes promesses aux saints & maintes quêtes sur les navires. Déjà les capitaines avaient pris la résolution de regagner la terre d’Inde, d’où nous étions partis, si nous étions favorisés par un vent qui nous y poussât. Mais, Dieu daigna, dans sa miséricorde, nous accorder une brise tellement propice que, dans l’espace de six jours, elle nous conduisit en vue de terre, ce dont nous nous réjouîmes autant que si cette terre eût été le Portugal.

Nous avions, en effet, l’espoir d’y trouver notre guérison, avec l’assistance divine, comme nous l’avions déjà trouvée une fois (lors du voyage aller – N. de l’éd.) ; & ce fut un mercredi, deuxième jour de février de l’an 1490. Comme nous étions près de la côte & qu’il faisait nuit, nous virâmes de bord & mîmes en panne ; &, quand vint le matin, nous allâmes reconnaitre la terre, afin de savoir en quel lieu le Seigneur nous avait conduits, car il n’y avait plus à bord ni pilote, ni personne qui fut en état de juger sur une carte le parage où nous nous trouvions. Quelques-uns assuraient, il est vrai, que nous ne pouvions être ailleurs qu’entre certaines îles par le travers de Mozambique, à trois cents lieues de terre environ ; & ceci, parce qu’un Maure que nous avions pris à Mozambique disait que ces îles étaient très insalubres, & que les habitants y souffraient eux-même du mal dont nous étions atteints. Or, nous nous trouvâmes en face d’une grande cité dont les maisons avaient plusieurs étages ; le centre était occupé par de vastes palais, & il y avait quatre tours à la circonférence ; cette ville, bâtie tout contre la mer, appartient aux Maures & se nomme Mogadoxo. Nous étant avancés suffisamment pour en être tout proches, nous lachâmes force coups de bombarde & poursuivîmes notre route en longeant la côte, avec bon vent en poupe, marchant de jour & nous arrêtant de nuit car nous ne savions pas à quelle distance nous pouvions être de Mélinde où nous nous proposions d’aller.

Le lundi, neuvième jour dudit mois, nous fûmes mouiller devant Mélinde, & le roi nous dépêchat sur le champ une longue embarcation qui portait beaucoup de monde ; il envoyait des moutons & mandait au commandant qu’il était le bienvenu, qu’il l’attendait depuis quelque temps déjà, ajoutant maintes autres paroles de paix & d’amitié. Le commandant expédia un homme à terre, en compagnie des envoyés, pour en rapporter le lendemain des oranges que nos malades désiraient ardemment, comme de fait il en rapporta avec bon nombre d’autres fruits ; mais les malades n’en profitèrent guère, car la terre les éprouva de telle façon que plusieurs trouvèrent ici leur fin. Nombre de Maures venaient aussi à bord, par ordre du roi, & apportaient à vendre des poules & des œufs en quantité. Le commandant voyant tous les égards que ce prince nous témoignait dans un moment où nous en avions si grand besoin, lui envoya un présent & le fit prier par un des nôtres (celui qui savait parler arabe) de lui donner une trompe d’ivoire pour l’offrir au roi son maître, et de faire élever à terre une colonne qui y demeurerait en témoignage d’amitié. Le roi répondit qu’il ferait de grand cœur tout ce qu’il demandait, par amour pour le roi de Portugal dont il voulait être & demeurerait toujours le serviteur ; & , en effet, il envoya sur l’heure la trompe au commandant & fit mettre en place la colonne. Il nous donna aussi, pour partir avec nous, un jeune Maure qui avait le désir de visiter le Portugal ; le roi le fit recommander particulièrement au commandant, en lui mandant qu’il lui envoyait ce jeune homme pour que le roi de Portugal sût combien il désirait son amitié.

Nous passâmes là cinq jours à nous divertir & à nous reposer des fatigues endurées pendant une traversée où nous avions tous vu la mort de près. Et un vendredi, dans la matinée, nous partîmes, & le samedi, douzième jour dudit mois, nous passâmes près de Mombaza. Le dimanche, nous fûmes mouiller sur les bas-fonds de San-Raphaël où nous mîmes le feu au navire de ce nom, car la manœuvre de trois vaisseaux devenait impossible avec le peu de monde que nous étions. Là, nous transbordâmes tout ce que renfermait le bâtiment sur les deux autres qui nous restaient. Nous demeurâmes cinq jours en cet endroit où l’on nous apportait, d’une bourgade sise en face de nous et nommée Tamugata, force poules à vendre ou à échanger contre des chemises & des bracelets.

La fin de l’histoire

Le récit s’arrête en date du 25 avril 1499 au large des côtes de Guinée-Bissau. Paul de Gama mourra en chemin de maladie. Vasco de Gama  sera couvert d’honneurs à son retour. En 1500, Dom Manuel, le roi du Portugal, enverra une seconde flotte de 13 navires commandée par Pedro Alvares Cabral. Vasco de Gama repartira en 1502, et mènera une guerre brutale contre les Maures et le Zamorin de Calicut. Il retournera une dernière fois aux Indes après avoir été nommé vice-roi des Indes en 1524. Il meurt à cochin peu de temps après son arrivée. Ses cendres seront transférées au Portugal, et finiront par être transférées au monastère des Hiéronymites de Lisbonne.

Le texte

Le récit que vous venez de lire a été établi grâce à la traduction de 1864 d’Arthur Morelet. Le fac-similé est disponible sur Gallica.

Pour lire l’intégralité du texte dans une traduction moderne et bénéficier de notes et de commentaires à foison, nous vous recommandons vivement ces eux ouvrages :

couv_le-premier-voyage-de-vasco-de-gama-aux-indescouv_voyages-de-vasco-de-gama

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