¡Tuani!  par Damien Artero

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0
Fatbike

1
Bienvenue au chaud
Managua, Nicaragua
02.05.2016 - Voir la carte
2
La joie et la passion
Managua, Nicaragua
03.05.2016 - Voir la carte
3
A coeur joie
Cerro Negro, Nicaragua
06.05.2016 - Voir la carte
4
Lutte avec un volcan
San Cristobla, Nicaragua
13.05.2016 - Voir la carte
5
Assise dans un tableau
Granada, Nicaragua
16.05.2016 - Voir la carte
6
Abondance
San Jorge, Nicaragua
22.05.2016 - Voir la carte
7
Fourmis sur un volcan
Ometepe, Nicaragua
30.05.2016 - Voir la carte

Damien Artero

Les Russes idolâtrent le sidecar Oural – Tesson aussi, mais d’un homme à la plume acérée qui porte sans frémir le bicorne, on peut s’attendre à tout, n’est-ce pas ?
Au Népal, les cavaliers du Mustang vivent sur leurs chevaux. Y dorment sans doute, avec peut-être la même rigidité nocturnale que leurs carnes magnifiques, un demi-oeil nictalope ouvert sur les ruissellements de la nuit.
La mule est monnaie-courante dans les Pyrénées hispaniques ou sur les veloutes des contreforts andins. Elle y modèle encore et toujours des sillons centenaires, un éloge à la lenteur d’arpenteurs nonchalants.
Moi, je suis l’amoureux transis des montures cyclopèdes. De la transmutation mécanique de mon bouillonnement vital en fulgurance horizontale.
Et pour être tout à fait exact, je fais du fatbike.
« Du fat-quoi ? », va s’enquérir le lecteur, perplexe.
Je sais…

 

Fat signifie « gras ». Le fatbike est essentiellement un vtt qui a pris de l’embonpoint dans les pneus. 4 (fat) ou 5 pouces (big fat) ; jantes à l’avenant – de 47 à 100 mm d’encolure. Au reste, ligne conforme : cadre acier, aluminium, bambou ; géométrie long-courrier ou chèvre agile, tout existe. Il y a au-dessus de chez moi, dans les Alpes iséroises, un ruisseau qui cavale en bas de la montagne. A vtt, on le descend assez bien. A fatbike on le remonte…
Le lecteur s’interroge : « Mais c’est un vrai tracteur ! ça doit être laborieux à faire avancer… ».

Entendons-nous, il faut les jambes. Mais le fatbike est agile et nerveux si on le dessine ainsi – affaire de géométrie. Sa capacité de franchissement est clairement supérieure à celle d’un vtt. La neige, la glace, le sable, la boue… là où sur mon vélo, je cale, sur mon fatbike, je passe probablement. « Et sur route ? », me dira-encore le lecteur, sceptique. Il suffit de regonfler les pneus. Nonobstant , Il faut oublier le chronomètre, ce vieil ennemi de la sérénité. Sur un fatbike, on roule partout, mais on roule mollement : à basse pression – autour de 0,5 bar. En mode sport comme voyage – car on peut adapter des portes-bagages ou tracter une remorque. Voir… une pulka.

 

J’entends d’ici les exclamations : « Pfff, ce n’est qu’une mode de plus venue des USA ! »
Mode il y a, j’en conviens, mais c’est l’arbre qui cache la forêt – je veux le croire. Une forêt de pratiquants assidus qui ont trouvé l’outil pertinent, le vélo tous-terrains et tous-travaux ultime.
Car c’est aussi mon outil de travail, qu’on ne s’y méprenne. Mon métier de réalisateur m’a donc convoyé au Nicaragua. Et là, comme partout ailleurs, juché sur ma bête extraordinaire, je crée l’événement et provoque la rencontre.

 

Avec Tibo, mon fidèle ami et partenaire sur ce projet, nous nous amusons beaucoup des regards effarés que glanent nos montures.

« Où est le moteur ? », s’exclame le quidam.
Nous nous tapons les cuisses de concert.
« Ici, pardi ! »
Les sourcils se haussent et les témoins se gaussent.
Mais non, c’est véridique.
Alors on concède : ce sont de bien belles bicyclettes. Alors si en plus nous les faisons avancer à la force du mollet… Le public applaudit !
Et de tâter de nos pneus.
« On dirait une moto… »
Un peu.
« Et vous faites quoi avec ces engins ? »
Nous cherchons des volcans où faire les fous.
Rires. Mines perplexes. Exclamations. Nous récoltons une farandole de réactions, mais de l’indifférence n’est pas au programme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Artero, Planète.D, Spicee TV

Chez le jovial Nelson, aux joues rebondies et au doux regard, nous voilà ainsi accroupis sur le toit inachevé de la baraque, entre des barbelés vêtus de sacs plastiques que le vent charrie et des antennes paraboliques, attablés, si l’on peut dire, autour de fruits de la passion gros comme des melons. Alentour bruissent, en plein coeur de capitale, les feuillages de manguiers où roucoulent quantités d’oiseaux exotiques que je ne sais nommer. De fugaces éclairs de couleurs vives chatouillent parfois le coin de nos yeux lors d’un envol. De couleurs vives, il est question tout autant dans le grand saladier qui nous fait face.
 » – C’est un fruit de la passion ça ?
– Et comment !
– Nooooon…
– Si ! Mange-le, tu en baves d’envie.
– On partage !
– On partage. »
Et de rire en s’exclamant ce qui deviendra le leitmotiv du périple et le nom du film : « ¡Tuani! » (« super chouette »).

© Artero, Planète.D, Spicee TV

Sur le Cerro Negro, petit cône volcanique non loin de Léon où nous faisons nos armes de freeriders des cendres, Tibo et moi nous en donnons à coeur joie.

 

Un volcan n’est pas une montagne. C’est un gigantesque tas de gravats, un amoncellement de pierriers mouvants, une succession de glissements de terrain, un catalogue d’éruptions qui refaçonnent continuellement le paysage.

 

Le Cerro Negro est le plus jeune volcan d’Amérique centrale. Sa première coulée date de 1850 et il est entré en éruption très fréquemment depuis : environ 23 fois, ce qui en fait le volcan le plus actif du pays. Sa dernière manifestation remonte à 1999.

 

Nous voilà à son sommet, entourés jusqu’à l’horizon par un océan de bruissante verdure. Le vent cingle nos chevelures et Tibo s’apprête à se jeter du haut du cratère. La pente est régulière, rectiligne, quelques menus kilomètres de pure vitesse jusqu’à la plaine. Il me faut le suivre, j’ai sur le casque une caméra qui va le filmer. Le voilà, il arrive, il fonce. Je lui emboîte la roue.

 

C’est curieux, comme le plaisir peut naître sous ma gomme, remonter le long de l’échine de mon fatbike, et me parcourir la carcasse en vagues de bonheur. Je pédale depuis que je suis né, et je vis dans les Alpes pour leurs sommets enneigés. Un vélo hors-normes devait réunir les deux. Et me propulser depuis un volcan d’Amérique Centrale.

Je déambule moitement dans les ruelles et les marchés aux victuailles de Léon. A plusieurs reprises, on m’y vante les pentes du volcan San Cristobal. Et si j’allais rendre visite à cette éminence locale ?

 

Je m’attaque au volcan San Cristobal avec le petit stock de fruits trouvés au marché. Mais c’est presque superflu ! Des mangues rebondies tapissent la piste qui m’emmène à lui.
Je prends la journée pour rallier le pied du volcan, en explorant la campagne environnante. Et en me régalant…

 

Le San Cristobal est le volcan le plus élevé du pays. Son cratère rejette en permanence une grande quantité de gaz et de vapeur d’eau. Au pied du volcan, dans une cabane touristique en construction, je passe une courte nuit en piquante compagnie. N’en déplaise à mon diffuseur, Spicee, là, c’est pas bon quand ça pique… Mais le scorpion m’épargne. Peut-être est-il lui aussi frugivore converti ?

 

La canicule sévit dès le milieu de matinée. J’attaque donc à 2 heures du matin. Le sentier donne d’abord l’espoir naïf que ça va rouler. Mais après une heure de pédalage nocturne, le terrain s’impose. Je pousse. Et déjà, je prends du retard sur le jour. Il est là quand j’émerge de la jungle devant le cratère. Je me réjouis à l’idée de quitter la végétation et d’avoir l’objectif en vue. Ah-ah… en fait le pire est devant. Il me crève les yeux et je ne le vois pas.

 

La végétation agressive et le dénivelé m’obligent ici aussi à porter Jackie, mon fatbike.

Bien vite, le mince balisage disparaît dans des crevasses et des pierriers toujours plus raides, toujours plus imposants. Comme je porte les 16 kilos de mon fatbike et mon sac avec 2 litres d’eau, je crapahute l’échine courbé. Sans doute qu’ainsi, le vague sentier m’a échappé. Voilà, dis-le Damien ! Tu t’es perdu ! Bon, en même temps, ce n’est guère compliqué : tu montes droit dans la pente, tu arriveras forcément au cratère. Facile à dire… La chaleur augmente doublement car le soleil se lève et j’ai quitté le couvert végétal. Je devrais penser, « fais demi-tour », mais je raisonne « allège-toi un peu ». La stratégie paye cependant : après encore une bonne heure de lutte, me voilà enfin au cratère !

 

Je m’en veux d’être entêté, et en même temps je me félicite d’être arrivé ! J’aimerais jouir de l’instant. Mais. Il ne faut pas s’attarder : je dois trouver une voie pour descendre et filer vite fait tant que mon énergie est encore pleinement disponible – et elle l’est ! même si hier je n’ai mangé que quelques mangues, avocats et bananes. Les nuages de gaz irrespirable n’invitent guère à la contemplation et sorti de leur ombre le soleil tanne le cuir. J’explore ; le cratère offre un surprenant plateau sommital à l’ambiance extra-terrestre. Je m’oublie un bref instant. Mais en poursuivant mon tour du gouffre, je ne repère ni pente favorable ni chemin praticable. Bon, j’y crois, j’ai confiance en moi et en mon vélo. La vue est presque circulaire, le repérage semble évident. Je me lance en pensant avoir fait le plus dur…

 

 

 

Il y a des photos toutes simples que j’affectionne particulièrement.
Quand le cadre et la composition sont sobres, équilibrés, que l’image finale est imparfaite et donc réaliste, mais en même temps qu’elle dépasse ou transcende la réalité en lui donnant un aspect esthétique, graphique, que seul le bon cadrage permet. L’idée me séduit qu’une photographie, en réduisant le réel à une plus simple, mais plus pure, expression, l’augmente. C’est le paradoxe de l’objectif. Si tant est qu’on l’exploite intelligemment, il voit moins mais mieux. Une machine au service de la sobriété heureuse.

 

En marchant dans la rue, j’observe cette femme qui vend des chips de bananes et chasse les mouches. Je m’approche et lui dis, « vous êtes assise dans un tableau, avec ce bleu uni derrière, est-ce que je peux vous prendre en photo ? »
Elle sourit et me dit, « bien sûr, vas-y ».
Dix pas de recul.
Un pas de côté.
Une respiration. Clic.

 

Après l’obturation, j’ai papoté un moment. De la vie, du commerce, de la météo. Autour d’une photo, il y a tout un instant de partage, d’échange voir de connivence, à construire, avec le sujet. Ces moments là sont importants, entre autres, pour que le sujet apprécie d’être pris en photo, qu’il donne volontiers de sa personne, et que tout le monde reparte satisfait de l’interaction. J’ai papoté, donc, et grignoté des chips de banane.
Grand dieux…
Des chips de banane ? Des chips toutes mortes ? Oui.

Avant de repartir à l’ascension des volcans, sur l’île Ometepe cette fois, nous faisons escale chez un petit paysan qui produit des fruits. On en trouve partout, mais je veux savoir jusqu’à quel point c’est facile à faire pousser.

 

 

 

 

© Artero, Planète.D, Spicee TV

Être réalisateur comporte une part assumée d’obsession.

 

Pendant 4 semaines de vadrouille, j’avais en tête l’image idéale que je voulais pour le film. L’image qui disait tout mais donnait malgré tout une furieuse envie de tout voir. L’accroche parfaite selon moi. Il y fallait :

– du freeride

– un volcan

– une évocation du voyage

– de la joie

– des fruits

 

Et je savais très exactement, dans ma petite tête, comment réunir tout ça. Ne restait plus qu’à trouver le lieu…

Ou à le créer.

 

Sur le pied du volcan Madeiras, dans l’île Ometepe, au détour d’un chemin alors que j’explorais la jungle, je suis tombé sur un champ ouvert avec vue sur l’autre volcan de l’île et second en altitude du pays : Concepcion.

 

Dans le champs, deux tas de gravats cuisaient au soleil.

 

Et j’avais mon image.

 

Il nous a fallu 1 journée et demi de travail à la pelle, la pioche, le râteau, pour aménager à Tibo une piste d’élan et d’envol, puis une autre journée de répétition, essais, prises de vue expérimentales.

 

Et après 2 jours et demi de labeur quasi continuel…

https://youtu.be/x_B6630H5L0

© Artero, Planète.D, Spicee TV

Damien Artero est un sportif, un grand voyageur, un père de famille… bref, un aventurier contemporain inclassable, sans cesse en mouvement, insatiable et pluri-actif. Il a fait le tour du monde à tandem, couru les massifs montagneux d’Europe, affronté la Laponie en hiver, traversé le Tibet en fraude, séjourné en Bolivie auprès d’enfants de la rue, travaillé dans les fermes de Nouvelle-Zélande, filmé pour le gouvernement du Dalaï-Lama exilé en Inde, travaillé pour les Chinchillas au Chili…

 

Auteur engagé, il a une ribambelle de films-documentaires à son actif dont deux séries, « Le Grand Détour » et « No Man Iceland » ont été diffusés en 2012/2013 sur France Ô et TV5 Monde, et auparavant sur Voyage. Entre deux périples au-delà des méridiens, il entretient une série de films courts sur l’exploration sportive en France : “France, terre d’aventures” et réalise des vidéos de recettes de crusine (recettes végétales crues) avec son amie naturopathe Irène Grosjean.

Plus d’informations

Son film

Regardez le film en entier en commandant le DVD, ou en assistant à une projection près de chez vous.

 

 

Mais aussi…

Vous pouvez aussi commander les recettes crues en DVD.

 

 

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